Shoah : des diocèses refuges cachent les fugitifs

Les évêques et Pie XII face aux rafles

Pour soustraire les fugitifs aux rafles, des réseaux diocésains s’organisent. L’ouverture des clôtures féminines et les témoignages des rabbins prouvent que les évêques des diocèses concernés sont impliqués dans les sauvetages. Article tiré d’un dossier spécial dans le dernier numéro d’Histoire du Christianisme Magazine, intitulé “Soutenus par Pie XII, les évêques contre les rafles” (*).

Soutenus par Pie XII, les évêques contre les rafles

A partir des sources du Yad Vashem, l’historienne Jeannine Levana Frank estime que 10 à 15 % des sauvetages accomplis sont effectués dans le cadre d’une organisation clandestine juive (OSE, Sixième, WIZO), 10 à 15 % le sont par des réseaux chrétiens. 68 % des sauveteurs se sont engagés à protéger des Juifs à la suite de contacts fortuits. En ce qui concerne les réseaux chrétiens, l’engagement de la conférence épiscopale de Lyon amène à circonscrire des diocèses refuges. Quelques rares échanges de correspondance montrent que ces évêques étaient solidaires dans les sauvetages.

En décembre 1942, le cardinal Gerlier répond à Mgr Cesbron, évêque d’Annecy, qui vient de lui proposer un hébergement pour sa « nièce », en réalité une fillette juive, à Villards-sur-Thônes, au pied du plateau des Glières : « Mais me voici maintenant un peu confus. Après m’avoir fait demander de l’aider dans ses recherches pour son séjour en montagne, ma nièce vient de me faire dire par un voyageur venant de Paris qu’elle n’est plus assurée de donner suite à ce projet, le médecin lui ayant déclaré qu’il n’était pas indispensable d’en venir là et qu’il suffisait de soustraire pendant quelque temps l’enfant intéressé du climat maritime, même simplement en le ramenant à Paris, les décisions ne sont pas encore définitives mais je sens qu’elles s’orientent de ce côté. Je ne vais pas moins faire communiquer dès la première occasion favorable les indications que vous avez eu la bonté de me transmettre. »

Mgr Rémond, évêque de Nice, n’hésite pas à détailler l’épouvantable rafle d’Alois Brunner à son vieil ami Mgr Florent du Bois de la Villerabel, archevêque d’Aix, aux convictions pétainistes très affirmées. Ce dernier peut alors prévenir le cardinal Gerlier : « Plusieurs de mes églises ont été l’objet de perquisitions sous prétexte que nous recélions des Israélites, l’une d’elles a été assaillie nuitamment, vers minuit, par une bande armée qui a tout fouillé, retourné, sans rien découvrir puisqu’il n’y avait rien et qui a fait subir un interrogatoire au clergé, dans le chœur. Les policiers s’étaient installés dans les stalles des prêtres. J’ai fait une protestation comme je le devais, qui a été transmise par le préfet régional et communiquée au gouvernement. »

Selon le témoignage des aumôniers israélites, les évêques de Montauban, Toulouse, Marseille, Clermont-Ferrand, Lyon et Tulle ont donné l’ordre d’ouvrir les couvents pendant la rafle du 26 août 1942. À Annecy, Mgr Cesbron accueille les Juifs chez lui, dans son évêché, comme le raconte le rabbin Meyers : « (Il) obtint le concours total de l’évêché d’Annecy, notamment du chanoine Clavel, de l’abbé Solliet et de l’abbé Riguet, grâce auxquels furent cachés dans des couvents et dans les locaux mêmes de l’évêché des centaines de personnes qui échappèrent aux rafles. »

Les rabbins ont aussi reçu l’aide de l’évêque de Tarbes, d’Auch, d’Agen, de Grenoble, Narbonne et Nice, selon les rapports reçus au Consistoire central. Ces rapports proviennent des délégations consistoriales mises en place en zone sud au cours de l’année 1942. Dans le diocèse d’Albi, toutes les maisons de la congrégation enseignante des sœurs de Saint-Joseph d’Oulias ont accueilli des enfants. Au moment de l’inscription de six fillettes, sœur Jeanne-Françoise Ramade, juste parmi les Nations, déclare : « À cette saison nous ne prenons plus de pensionnaires… mais si ce sont de petites juives, nous ne pouvons refuser car l’archevêque d’Albi nous fait une obligation morale de les accueillir. »

À l’échelle des paroisses, les Filles de la Charité ont largement contribué aux sauvetages. À l’orphelinat de Collonges-sous-salève, près de genève, sœur Neyrand et ses compagnes aident le curé Jolivet à passer la frontière suisse : « Nos sœurs étaient mises à contribution dans un formidable réseau qui a permis d’accueillir d’héberger, de soigner, de réconforter les enfants juifs venant de partout. Ils étaient convoyés depuis Saint-Étienne après d’innombrables péripéties, voyageant de nuit avec des attentes, des blocages pour finalement arriver à Collonges où l’abbé et les sœurs assuraient clandestinement l’hébergement jusqu’au franchissement de la frontière. Les passages durant la nuit étaient extrêmement dangereux. Ce fut une formidable chaîne de solidarité sous la perpétuelle menace d’une dénonciation ou d’une arrestation. »

L’accueil dans des couvents féminins à la clôture très stricte révèle l’engagement de l’évêque, qui seul peut donner cette autorisation. Ce fut le cas au Carmel de Lyon. La prieure demande l’avis de la communauté, qui accepte par un vote. Selon les chroniques du monastère, les réfugiées, de stricte observance juive, restent cachées trois mois au Carmel. La sœur cuisinière prépare des repas casher, les jeunes filles peuvent célébrer le shabbat. Elles sont envoyées par « M. Robert », qui organise les départs vers la Suisse, après avoir béni les moniales. M. Robert n’est autre que le grand rabbin Kaplan. À Paris, il est difficile de parler de diocèse refuge, dans la mesure où l’Abwehr avait infiltré certains membres du clergé. L’archevêque était étroitement surveillé par un espion de la Gestapo, Kurt Reichl, et par la police aux questions juives, qui vérifiait la provenance des certificats de baptême.

Toutefois, le cardinal Suhard a bien encouragé un réseau semi-officiel qui aide les proscrits. Il avait des contacts secrets avec Armand Kohn, secrétaire général de la Fondation Rothschild et directeur de l’hôpital Rothschild, membre du comité de direction de l’UGIF-Nord. À sa demande, l’archevêque intervient personnellement pour obtenir des libérations. Il reçoit des informations très précises sur les rafles dans Paris et le départ des convois de Drancy au cours de l’année 1943. Durant cette même année, il favorise le placement des enfants du pensionnat de la rue Lamarck, dirigé par Françoise Lautmann, dans des familles et des institutions religieuses. Joséphine Getting s’occupe de ces placements avec l’aide de certains prêtres de Paris, jusqu’à son arrestation en juillet 1943, suivie de sa déportation à Auschwitz. Cette filière est alors complètement démantelée par la Gestapo.

"Vous n'aurez pas les enfants"

Des filières catholiques se sont mises en place autour de plusieurs paroisses de Paris et de la première couronne de banlieue, elles procurent de faux papiers et de faux certificats de baptêmes qui permettent de sortir de Drancy. Certains curés dénoncent en chaire l’apposition de l’étoile jaune en juin 1942. Ces curés, souvent aidés par les Filles de la Charité, sont en lien avec des paroisses de la grande banlieue comme celles des abbés Terruwe et Ménardais en Seine-et-Marne qui accueillent les enfants cachés. Les Pères et les Dames de Sion constituent la filière clandestine majeure qui s’articule autour de trois points de convoyage vers la province. Ils travaillent en étroite collaboration avec la résistance juive. Mais ces filières très actives à la fin de l’Occupation sont indépendantes de l’archevêché.

Sylvie Bernay

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N.B. : La notion de diocèse refuge

Un diocèse refuge est un diocèse où l’évêque couvre les activités clandestines du sauvetage. Le diocèse est bien la base de l’organisation hiérarchique et géographique puisque le « planquage » clandestin est confié à des relais, qui sont des curés de paroisses ou des institutions religieuses, sous l’obédience de l’évêque. De longues habitudes de travail en commun, des liens de solidarité internes unissent ces sauveteurs entre eux, ce qui explique leur efficacité et la forte concentration de Justes parmi les Nations religieux dans les diocèses de la zone sud. Enfin, si les placements et les camouflages commencent dans la situation d’urgence des rafles, comme celles du 26 août 1942 et de septembre 1943, les diocèses forment ensuite des filières autonomes qui accueillent et placent les proscrits.

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