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La campagne contre Pie XII, une querelle posthume

jeansevillia-piexiiLe texte de Jean Sévillia ci-dessous est extrait du chapitre « L’affaire Pie XII » de son livre Historiquement correct publié en 2003 chez Perrin, livre réédité en collection de poche Tempus en 2006 avec un texte actualisé, et de nouveau publié chez Perrin dans ses Ecrits historiques de combat(*) en 2016. Cette dernière édition comprend une bibliographie actualisée sur l’affaire Pie XII. Ne sont pas reproduites ci-après les notes et références des citations qui figurent dans le livre.

En juin 1944, au lendemain de la libération de Rome, l’aumônier juif de la cinquième armée américaine témoigne que « sans l’assistance apportée aux juifs par le Vatican et les autorités ecclésiastiques de Rome, des centaines de réfugiés et des milliers de réfugiés juifs auraient péri ». Après la guerre, le Congrès juif mondial, « au nom de toute la communauté juive, exprime une fois de plus sa profonde gratitude pour la main protectrice tendue par Sa Sainteté aux juifs persécutés pendant ces temps terriblement éprouvants » ; et l’organisation offre au Vatican une somme de 20 000 dollars « en reconnaissance de l’œuvre du Saint-Siège sauvant les juifs de la persécution fasciste et nazie ». Le grand-rabbin de Rome, Israël Zolli, et sa femme se convertissent au catholicisme, au terme d’un cheminement théologique entamé dès les années 1930 ; ils choisissent pour prénoms de baptême Eugenio et Eugenia, en hommage à l’action de Pie XII en faveur de leurs coreligionnaires. En 1946, Pie XII reçoit soixante-dix-huit juifs rescapés de la déportation, venus le remercier. Moshes Sharett, futur Premier ministre d’Israël, rencontre le pape. « Je lui dis, racontera-t-il, que mon premier devoir était de le remercier et, en lui, l’Eglise catholique, au nom de la communauté juive, pour tout ce qu’elle avait fait en différentes contrées pour secourir les juifs ». Le sénateur Levi, en témoignage de gratitude pour l’action de Pie XII en faveur des juifs, fait don au Vatican d’un palais qui abrite aujourd’hui la nonciature apostolique à Rome. En 1955, l’Union des communautés juives d’Italie proclame le 17 avril jour de gratitude pour l’assistance du pape pendant la guerre. Le 26 mai de cette même année, quatre-vingt-quatorze musiciens juifs, originaires de quatorze pays, exécutent la IXe symphonie de Beethoven, à Rome, sous la direction de Paul Kletzki, « en reconnaissance de l’œuvre humanitaire grandiose accomplie par Sa Sainteté pour sauver un grand nombre de juifs pendant la Seconde Guerre mondiale ».

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A la mort de Pie XII, le 9 octobre 1958, la mémoire du pape est unanimement saluée. Devant l’ONU, Golda Meir, alors ministre des Affaires étrangères d’Israël, fait cette déclaration : « Pendant les dix années de la terreur nazie, quand notre peuple a souffert un martyre effroyable, la voix du pape s’est élevée pour condamner les bourreaux et pour exprimer sa compassion envers les victimes ». Le rabbin Elio Toaff (qui accueillera Jean-Paul II à la synagogue de Rome en 1986) proclame que « les juifs se souviendront toujours de ce que l’Eglise a fait pour eux, sur l’ordre du pape, au moment des persécutions raciales ».

En 1963, le Vicaire, la pièce de Hochhuth, lance la campagne contre Pie XII. Mais un député britannique, Maurice Edelman, président de l’Association anglo-juive, rappelle que « l’intervention du pape Pie XII a permis de sauver des dizaines de milliers de juifs pendant la guerre ». Etabli à Jérusalem, l’écrivain juif Pinchas Lapide, consul d’Israël à Milan du vivant de Pie XII, est interrogé par le correspondant du Monde. « Au lendemain de la libération de Rome, se souvient-il, j’ai appartenu à une délégation de soldats de la brigade juive de Palestine qui a été reçue par le pape et qui lui a transmis la gratitude de l’Agence juive, qui était l’organisme dirigeant du mouvement sioniste mondial, pour ce qu’il avait fait en faveur des juifs. (…) Le pape personnellement, le Saint-Siège, les nonces et toute l’Eglise catholique ont sauvé de 150 000 à 400 000 juifs d’une mort certaine. Lorsque j’ai été reçu à Venise par Mgr Roncalli, qui allait devenir Jean XXIII, et que je lui exprimai la reconnaissance de mon pays pour son action en faveur des juifs, il m’interrompit à plusieurs reprises pour me rappeler qu’il avait chaque fois agi sur ordre précis de Pie XII ».

Quelques années plus tard, Lapide rédige un livre – traduit en plusieurs langues – sur les rapports entre le judaïsme et l’Eglise. Après une longue enquête, il révise ses chiffres à la hausse : « L’Eglise catholique, sous le pontificat de Pie XII, fut l’instrument qui sauva au moins 700 000 mais probablement jusqu’à 860 000 juifs d’une mort certaine de la part des nazis ».

En février 2001, dans un magazine américain, un rabbin new-yorkais, David Dalin, publie un long article où il revient sur la multitude des témoignages juifs en faveur du pape, pendant et après la guerre. « Toute la génération des survivants de l’Holocauste, constate-t-il, témoigne que Pie XII a été authentiquement et profondément un Juste ». Dalin demande que Pie XII soit reconnu par Israël comme « Juste des nations », car « le pape Pacelli a été le plus grand soutien des juifs ».

L’ensemble de ces témoignages rend étranges les allégations selon lesquelles les archives du Vatican recèleraient des secrets honteux. En 1999, une commission internationale de trois historiens catholiques et de trois historiens juifs s’est réunie à Rome. Fin 2000, elle a remis son rapport au cardinal Cassidy, président du Conseil pontifical pour le dialogue avec le judaïsme. La commission a posé quarante-sept questions, à son avis non résolues, les parties juives demandant un réexamen des archives du Vatican, travail pourtant effectué de manière approfondie par les jésuites qui ont édité les Actes et Documents du Saint-Siège relatifs à la Seconde Guerre mondiale. Un refus leur a été opposé, non par principe mais pour des raisons purement techniques. Afin de désamorcer la polémique qui s’en est suivie (et qui engage d’autres enjeux, cette revendication ayant été intégrée par le gouvernement israélien dans son contentieux avec le Saint-Siège), Jean-Paul II a décidé d’accélérer les échéances : en 2003, 640 dossiers concernant les relations entre le Vatican et l’Allemagne sous Pie XI sont disponibles, et il en ira bientôt de même pour le pontificat de Pie XII. Mais selon le père Blet, il n’y a plus rien à découvrir dans les archives du Vatican.

Pendant la guerre, ni Roosevelt, ni Churchill, ni le général de Gaulle n’ont publiquement accusé l’Allemagne nazie d’exterminer les juifs. Dans la mesure de ce qu’il savait, Pie XII a parlé. Dans la mesure de ce qu’il pouvait, il a pris des initiatives. Il l’a fait selon les contraintes de l’époque, et selon sa nature. « Il a agi en diplomate, non en croisé, au risque évident de décevoir et d’être plus tard accusé », remarque très justement Robert Serrou.

Soixante ans après, les pièces historiques continent de s’accumuler, mais à décharge de Pie XII. Avec des surprises : John Cornwell, par exemple, est revenu sur sa position. « A la lumière des débats qui ont eu lieu, déclare-t-il, et des preuves qui ont été fournies suite à la publication de mon livre, je dirais maintenant que Pie XII avait une marge de manœuvre si réduite qu’il est impossible de juger les raisons de son silence pendant la guerre, pendant que Rome était sous la botte de Mussolini et occupée ensuite par les Allemands. » Aux Etats-Unis ont paru les Mémoires de Harold H. Tittmann, un diplomate américain qui a travaillé au Vatican de 1940 à 1944 et qui a souvent rencontré Pie XII. L’ouvrage confirme les efforts du Souverain Pontife pour s’opposer aux nazis et pour défendre les Juifs.

Pourquoi s’en prendre à Pie XII ? En 2002, Jean-Claude Grumberg, co-scénariste du film Amen (lequel produisit l’ouverture de ce site, ndlr), affirme que « c’est un film qui dit qu’hier c’est aujourd’hui, et qu’aucune autorité n’a autorité sur notre conscience ». Ce qui est visé à travers le pape, ici, c’est l’autorité de l’Eglise catholique. La querelle, dès lors, glisse sur le terrain philosophique : elle n’est plus historique. Et si Pie XII n’était qu’un prétexte ?

Jean Sévillia

Ecrits historiques de combat

ecritshistoriquesdecomabt-jeansevillia-piexii(*) Ecrits historiques de combat rassemble pour la première fois les trois principaux essais historiques de Jean Sévillia, actualisés et enrichis d’une préface inédite. L’auteur de l’Histoire passionnée de la France a été le premier à dénoncer le politiquement correct appliqué au traitement de notre histoire. Cette déformation idéologique du passé, inspirée par une vision réductrice de la France d’avant 1789, par un anticléricalisme systématique et par une certaine vulgate marxiste, a contribué, selon Jean Sévillia, à forger une interprétation monolithique, une doxa, à laquelle il rétorque par sa propre vision, inscrite dans la grande tradition conservatrice et appuyée sur une vaste culture historique et journalistique. Aussi ces essais enlevés et élevés ont-ils rencontré un très large public et contribué à ouvrir puis nourrir le débat sur les nœuds gordiens de notre histoire, du Moyen Âge à nos jours, en passant par la Révolution française, par le choc de 1940 ou encore Mai 68. Moralement correct (2007) complète et approfondit le précédent livre par une analyse thématique et transversale de la société contemporaine à travers la pensée dominante. Enfin, Le Terrorisme intellectuel, dont la première édition date de 2000, est volontairement placé en fin de volume, car il établit le lien entre histoire et actualité en attaquant les modes et passions successives, de 1945 à nos jours, de l’intelligentsia et du milieu médiatique qui sont dominés par la gauche – avec pour corollaire l’aveuglement devant le bilan du communisme, la préférence pour le multiculturalisme et la diabolisation de tout ce qui fait obstacle au prétendu sens de l’Histoire.

Sur l’auteur : essayiste et historien, chroniqueur au Figaro Magazine et membre du conseil scientifique du Figaro Histoire, Jean Sévillia est l’auteur de biographies et d’essais historiques qui ont été de grands succès de librairie.

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Le Vatican n’a pas aidé les criminels nazis à fuir

L’Osservatore Romano rapporte la thèse de Pier Luigi Guiducci, professeur d’histoire de l’Église au centre diocésain de théologie pour laïcs Ecclesia Mater de l’université du Latran (Zenit du 10 août). Un éclairage utile (on se souvient d’une scène du film Amen de Costa-Gavras qui appuyait cette thèse, cf photo).

Dans le film Amen

« L’Église et le Vatican n’ont en aucune façon aidé la fuite des criminels nazis », affirme Pier Luigi Guiducci, professeur d’histoire de l’Église au centre diocésain de théologie pour laïcs Ecclesia Mater de l’université du Latran. Des propos rapportés par L’Osservatore Romano du 26 mai 2015.

Auteur de l’ouvrage « Au-delà de la légende noire » (Oltre la leggenda nera, Milan, Mursia), il travaille depuis dix ans « dans les archives allemandes, croates, italiennes, argentines et américaines, pour démentir des affirmations qui se révéleront infondées ou inventées et ne résisteront pas à l’analyse historique ».

Pour l’historien, « l’Église et le Vatican n’ont en aucune façon aidé la fuite des criminels nazis. Si ceux-ci ont réussi à s’infiltrer parmi les réfugiés avec de faux papiers ou à utiliser des filières diplomatiques pour atteindre l’Amérique du Sud ou d’autres nations où ils pouvaient compter sur de bonnes couvertures, il n’y a aucune trace de connivences d’ecclésiastiques ou d’organisations catholiques, qui ne s’occupaient que d’activités humanitaires ».

Dans la préface du livre, le père jésuite Peter Gumpel, rapporteur de la cause de béatification du pape Pie XII, souligne que Pier Luigi Guiducci « est en mesure de prouver que les thèses de divers auteurs n’expriment, la plupart du temps, que des opinions, des suppositions, des convictions personnelles non confirmées par des documents historiques, qui font l’impasse sur des données divulguées après l’ouverture d’archives civiles ».

Source : Zenit

Cardinal Bertone : « l’inconsistance totale » de la « légende noire » sur Pie XII

Cardinal Tarcisio Bertone

En 2007, à l’occasion de la sortie du livre d’Andrea Tornielli, le cardinal Bertone avait prononcé un important discours sur la question Pie XII. A l’heure où le processus de béatification se poursuit – Benoît XVI ayant probablement l’intention de proclamer Pie XII bienheureux en même temps que Jean-Paul II – nous republions ici cette intervention incontournable du secrétaire d’Etat du Vatican.

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