Archives mensuelles : mai 2018

En 1930, la première femme embauchée par les Musées du Vatican était… juive !

Elle s’appelait Hermine Speier.

Le 2 mai dernier, les descendants du professeur Bartolomeo Nogara ont remis aux autorités vaticanes les carnets de leur ancêtre, directeur des Musées du Vatican de 1920 à 1954. Véritables pans de l’histoire du Saint-Siège durant la Seconde guerre mondiale, ces 41 carnets mettent en lumière le remarquable itinéraire d’Hermine Speier, réfugiée juive allemande dans les Musées et première femme embauchée par l’institution muséale.

Pionnière en son domaine de spécialité – l’archive de photos archéologiques -, érudite au destin sinueux qui a subi de plein fouet la tragédie de l’Histoire, Hermine Speier est une archéologue méconnue. Et pourtant, en tant que première femme employée par l’institution culturelle du Saint-Siège, elle est une figure essentielle à l’histoire des douze musées du Vatican. Issue d’une famille juive fortunée de Francfort-sur-le-Main, Hermine Speier fait ses humanités dans sa région de naissance, avant de poursuivre un doctorat à l’université d’Heidelberg en philologie et en archéologie classique, c’est-à-dire l’étude des vestiges antiques. Largement inspirée par le père de l’archéologie moderne, Johann Joachim Winckelmann, elle obtient son sésame en 1925.

Elle travaille ensuite aux archives photographiques de l’Institut allemand d’archéologie (DAI) à Rome, où elle acquiert une large reconnaissance professionnelle. Une ascension rapidement freinée par l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933 qui la contraint à quitter ses fonctions, à la suite de la loi qui interdit aux Juifs tout travail dans la fonction publique.

Déjà dans la Ville éternelle, Hermine Speier se réfugie aux Musées du Vatican où elle gagne le soutien du directeur de l’époque, Bartolomeo Nogara. Il l’embauche aux archives photographiques du musée pontifical, le Pape Pie XI signe son contrat en 1934, et fait d’elle la première femme à occuper un poste au sein de l’institution, et l’une des premières à travailler au service du Saint-Siège. Par cette embauche, le plus petit État du monde envoie ainsi un double message: contre l’antisémitisme nazi et pour l’emploi des femmes. Au sein des Musées, alors en pleine expansion à la suite des accords de Latran, Hermine Speier initie la classification des archives photographiques en trois périodes : classique, médiévale et moderne.

Comme les premiers chrétiens

En 1939, à la veille de la guerre, Pie XI décède et c’est un de ses très proche collaborateur, le cardinal Eugenio Pacelli, qui est élu sous le nom de Pie XII. Alors que l’Allemagne nazie est plus menaçante que jamais, que le Vatican est entouré par l’Italie fasciste, il n’hésite pas à confirmer le choix de Pie XI d’employer cette femme juive, nous rapport aussi Aletiea. La même année, Hermine se convertit librement au catholicisme et reçoit à cette occasion un télégramme de félicitations du souverain pontife. Preuve de l’affection réelle du Pape pour cette femme qui ne partageait jusqu’alors pas sa foi en Jésus-Christ. Malgré son baptême, Hermine Speier est toujours considérée comme juive par les nazis qui occupent la ville de Rome en 1943-1944 et Pie XII s’occupe personnellement de sa protection. L’archéologue allemande est ainsi cachée parmi les religieuses du couvent des Catacombes de Sainte-Cécile ! Si jamais les nazis venaient à fouiller le couvent, elle pourrait alors s’enfuir dans les catacombes par un passage secret. Comme les premiers chrétiens…

Actrice de la vie culturelle vaticane

Responsable de nombreux événements culturels et instigatrice d’un salon littéraire, Hermine Speier se positionne comme une femme incontournable de la vie vaticane des décennies de l’après-guerre. Dans les années 1960, elle règne sur la collection d’antiquités des Musées. Elle ne prendra sa retraite qu’en 1967 avant de se retirer en Suisse, où elle décède en janvier 1989 à Montreux. A l’instar de son prédécesseur Pie XI, le Pape François a également procédé à une nomination féminine historique. Cette fois-ci au poste de directrice, l’historienne de l’art italienne, Barbara Jatta, nommée en janvier 2017.

Source : Vatican news (Delphine Allaire)