Une étude sur la proximité entre Mgr Pacelli et le président Roosevelt
On connaît tous l’attente quelque fantasmagorique autour de l’ouverture des archives Pie XII, qui devraient, selon ses détracteurs, apporter la preuve de sa culpabilité et de sa compromission avec les nationaux-socialistes.
Pour le moment, les historiens disposent des archives du pontificat de Pie XI, dont Mgr Pacelli fut le fidèle secrétaire d’Etat.
Or, il s’avère que l’historien italien Luca Castagna les a consultées pour l’écriture de son livre sur les rapports entre les Etats-Unis et le Vatican de 1914 à 1940. Si l’on ajoute aux fonds archivistiques du Saint-Siège, ceux consultés aux Etats-Unis, on peut donc considérer que cette étude répond à tous les critères scientifiques.
Les détracteurs de Pie XII seront quelque peu déçus. En effet, au lieu de trouver un Pacelli défenseur, promoteur, voire adhérant aux thèses fascistes ou nationales-socialistes (le fameux pape d’Hitler de l’inénarrable Cornwell), ils découvriront un secrétaire d’Etat très proche du président Roosevelt et de sa politique.
Le livre reprend toute l’histoire des relations compliquées entre la république américaine et le Saint-Siège. Les catholiques évoluent dans une société qui leur est globalement hostile, marquée par l’omniprésence wasp. Ils sont ravalés au rang d’une minorité dont l’élite protestante se méfie. Ils incarnent, et avec eux l’Eglise et le Saint-Siège, la vieille Europe obscurantiste. Enfin, le 1er amendement interdit de privilégier une religion par rapport à une autre, d’où l’absence de concordat, de relations diplomatiques officielles et d’ambassadeurs.
Depuis 1867, Rome et Washington n’entretiennent plus aucune relation officielle. Aucun lien ne sera rétabli avant 1984. Cela n’a pas empêché, comme le montre très bien Castagna, des contacts et des échanges qui vont crescendo jusqu’en 1939. En fait, l’étude décrit en détails le mécanisme de rapprochement et de convergence entre les deux Etats.
Pourtant, tout commence mal. La première partie de l’ouvrage se penche sur la période de la Première Guerre mondiale. Elle décrit la très forte hostilité du président Wilson à l’encontre du pape, et même du catholicisme. Il refuse de suivre Benoît XV dans ses initiatives de paix, et de laisser le Saint-Siège participer à la conférence de la paix de 1919. Cette période de la guerre est sans conteste la plus dure, la plus tendue, celle où le patriotisme des catholiques américains est clairement mis en doute.
Un véritable tournant s’opère avec Roosevelt. Le président démocrate n’éprouve aucune hostilité à l’encontre des catholiques qui, traditionnellement, votent démocrate. La convergence s’opère sur deux points essentiels. Le premier est le programme socio-économique, celui du New Deal, très proche de la doctrine sociale de l’Eglise. Roosevelt connaît d’ailleurs bien les encycliques de Léon XIII et de Pie XI sur cette question.
L’autre point est diplomatique. Car autant Washington que Rome craignent la montée des fascismes, leur radicalisation et le renforcement des tensions internationales qui conduisent à une nouvelle guerre. C’est au moment où Pie XI donne à son pontificat une tournure nettement antitotalitaire qu’il se tourne vers Roosevelt pour mener un commun combat contre les forces totalitaires. Quant à Mgr Pacelli, son secrétaire d’Etat, « il fut sans aucun doute le maître d’œuvre absolu de cette stratégie » (p.259)
Pacelli est en fait conscient du pouvoir que les Etats-Unis peuvent exercer sur les affaires européennes. Il se félicite donc des bonnes dispositions de Roosevelt et saisit la main tendue. Conscient de la faiblesse des démocraties, il se tourne, avec toute la prudence et le sens de la négociation qui sont les siens, vers Washington.
Dans cette optique, le voyage de Pacelli aux Etats-Unis prend tout son sens. Le contact entre les deux hommes est immédiatement positif.
C’est entre 1937 et 1939 que les discussions s’approfondissent à un tel point de convergence politico-diplomatique que Roosevelt veut établir auprès de la Curie un contact direct mais officieux qui permettrait de contourner le veto du Congrès au sujet de l’établissement de relations diplomatiques. Il est persuadé que le Vatican « est le meilleur poste pour mettre au point un programme de paix pour le monde » (p.319)
Cela est fait après l’élection de Pie XII. Le livre retranscrit très bien l’enthousiasme de Roosevelt lors de l’élection de son « cher ami » Pacelli à la charge suprême de l’Eglise. Il dépêche à Rome pour les cérémonies du couronnement l’ambassadeur à Londres, Joe Kennedy (qui fait partie des catholiques ayant accédé aux hautes responsabilités grâce au président). Il est encouragé dans cette voie par un membre du Congrès, Emanuel Celler. Celui-ci, de religion juive, écrit au Département d’Etat le 24 juillet 1939, pour que soit rétabli les relations avec le Saint-Siège, c’est-à-dire le lien entre la défense des libertés et la religion (p.327).
La proximité idéologique entre Roosevelt et Pie XII se matérialise par l’envoi, par le président américain, d’un représentant auprès du pape, en la personne de Myron Charles Taylor. Rome et Washington s’apprêtent à mener un combat commun pour la paix et contre les fascismes.
L’étude Luca Castagna démontre, d’une manière claire, que Roosevelt considère que le Vatican, Pie XI et son successeur, sont des alliés objectifs dans son combat pour la paix et contre les totalitarismes.
Luca Castagna, Un ponte oltre l’oceano. Assetti politici e strategie diplomatiche tra Stati Uniti e Santa Sede nella prima metà del Novecento (1914-1940), Bologna, Il Mulino, 2012, 353 p., 27 €