Les fragilités d’une pièce de théâtre, qui ouvrit l’offensive anti-Pie XII.
Cette pièce de théâtre, on le sait, joua un rôle moteur dans les polémiques et les attaques sur le rôle de Pie XII pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle est à l’origine de la légende noire du pape. Jouée en 1963 pour la première fois, elle est, depuis, régulièrement montée.
Encore aujourd’hui, cette pièce reste environnée de mystères. Tentons néanmoins de faire le point.
L’œuvre défend la thèse d’un Pie XII timoré et complaisant envers Hitler et son régime, effrayé par le menace communiste et soviétique, que seule l’Allemagne nazie pourrait contrer. Préoccupé par la défense des intérêts matériels et financiers de l’Église, le pape soutient de fait Hitler et fait preuve d’une tiédeur criminelle face au génocide juif qu’il connaît en détails. La pièce mêle personnages historiques (Pie XII, le nonce Orsenigo, l’ingénieur SS Kurt Gerstein) et personnages fictifs (le jeune prêtre, héros de l’histoire, Riccardo Fontana, son père camérier du pape, et un cardinal).
Cette présentation des évènements devient très vite une vérité historique. Un an plus tard, l’historien Saul Friedländer publie son livre Pie XII et le III° Reich, qui semble confirmer la thèse de Hochhuth. Le pape y est décrit comme un homme froid, autocratique, anticommuniste acharné, désireux de préserver l’Allemagne nazie, sans doute antisémite et en opposition totale avec son prédécesseur, Pie XI.
En fait, l’analyse du contexte des années 1960 est primordiale. Le Vicaire reprend une antienne de la propagande communiste sur l’alliance des forces réactionnaires catholiques, qu’incarne le Vatican, avec le national-socialisme par hostilité à la démocratie et au communisme. Utilisée dès l’entre-deux-guerres, cette thématique est reprise en 1944 lorsque le Vatican s’inquiète ouvertement de l’expansion de l’URSS et du communisme sur l’Europe de l’Est(1) . Elle constitue l’axe de la pièce de Hochhuth, et des analyses actuelles de l’historienne Annie Lacroix-Riz. Moscou et ses agents instrumentalisent l’antifascisme pour décrédibiliser ses adversaires, tous réduits à des agents ad hitlerum, afin de culpabiliser leurs soutiens.
Autre élément en prendre en compte, l’effervescence autour de la réunion du concile Vatican II. Annoncé en 1959 par Jean XXIII, il s’ouvre en octobre 1962. Les Soviétiques s’y intéressent de très près. Leur attention se focalise sur une condamnation du communisme par le Concile qui reprendrait la politique de Pie XI et de Pie XII. Une intense activité se met alors en place pour saper l’autorité morale et politique de la papauté.
L’URSS a donc objectivement intérêt à décrédibiliser l’Église catholique et la papauté, à rappeler qu’elle s’est compromise avec le nazisme pour parer à d’éventuelles condamnations(2) . Hochhuth est-il pour autant une agent soviétique ? Ou est-il manipulé par son producteur Erwin Piscator qui vécut en URSS entre 1931 et 1936 et qui lui apporta une aide décisive pour monter la pièce ? Tout cela reste mystérieux. Ce qui est absolument sûr, c’est l’influence communiste sur la rédaction de l’œuvre. Elle appartient la culture propagandiste de la Guerre froide.
Hochhuht et Piscator ont repris tous les éléments à charge possibles : la signature du Concordat de 1933, l’anticommunisme, la tiédeur du pape et du nonce Orsenigo, la préoccupation de Pie XII pour la ville de Rome. Bref, elle ne repose sur aucune vérité historique. L’historiographie la plus récente, à l’aide des archives du pontificat de Pie XI et de celles de la période de la guerre, a mis en pièces l’image d’un Pacelli philonazi par anticommunisme, antisémite, préoccupé par la défaite de l’Allemagne hitlérienne. Au contraire, les archives décrivent un prélat qui dès 1923 prend conscience du danger, pourfend l’hérésie nationaliste, convainc Pie XI, déteste Hitler qui le lui rend bien, trempe en 1939-1940 dans un complot ourdi contre le Führer, prend rapidement le parti des Alliés, ouvre les couvents romains pour sauver les Juifs, parvient à enrayer les rafles de 1943 et se préoccupe du sort de tous les Européens, écrasés sous le joug des nazis et des communistes.
La pièce se termine par la lecture d’une dépêche d’octobre 1943, écrite par l’ambassadeur du III° Reich auprès du pape, Ernst von Weizsäcker, affirmant que le pape ne fera rien contre les rafles des Juifs. Les rapports entre Berlin et le Vatican n’en souffriront donc pas. C’est d’ailleurs à partir de ces dépêches que Saul Friedländer écrit son livre en 1964.
Or, on sait aujourd’hui que Weizsäcker atténue volontairement la teneur de ses entretiens avec le cardinal secrétaire d’État, Mgr Maglione, qui se montre en fait beaucoup plus dur. Le diplomate allemand, désireux d’éviter une confrontation entre le Reich et l’Église, veut éviter tout propos susceptibles de radicaliser les nazis prêts à faire enlever ce pape qu’ils détestent (3) .
Le Vicaire est donc une manipulation dans laquelle l’URSS, d’une façon qui reste à définir, joua un rôle incontestable. Elle nie l’hostilité de la papauté à l’encontre du régime hitlérien et de son idéologie, ainsi que le combat que les deux pouvoirs se sont livrés ; elle caricature la personnalité de Pie XII en exagérant sa prudence ; elle donne l’impression que le pape aurait eu le pouvoir d’arrêter la machine de mort des nazis s’il était intervenu.
En un mot, cette œuvre ne peut, en aucun cas, être prise comme argument historique.