L’ouverture des archives du Vatican sur le pontificat de Pie XII, annoncée par le Saint-Siège aura lieu d’ici 6 ans, indique le cardinal Walter Kasper, dans une conférence à l’université « Hope » de Liverpool, dans laquelle et rappelle aussi que les déclarations de Vatican II sur le judaïsme sont « irrévocables » (cf. Zenit du 27 mai 2010).
Le président du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens, qui est aussi le président de la Commission pour les relations religieuses avec le judaïsme, a redit que l’Eglise n’a rien à cacher », et « rien à craindre ».
Il a jugé bon de revenir « brièvement » sur le présumé « silence » de Pie XII, en se défendant d’être un « expert en la matière » et par conséquent, il a annoncé un exposé qui ne serait pas « exhaustif », soulignant que « beaucoup de questions sont encore ouvertes et nécessitent des recherches ultérieures ».
Nous traduisons intégralement ce passage du discours sur le pontificat de Pie XII.
« Pie XII a été pape (1938-58) à l’une des époques les plus difficiles de la papauté, au cours de la seconde guerre mondiale, alors que Rome était sous la domination de Mussolini et ensuite occupée par l’Allemagne. L’évaluation par ses contemporains de son pontificat pendant la seconde guerre mondiale a été plutôt positive. Dans son message radio de Noël 1942, le pape a été très clair et les nazis ont très bien compris ce qu’il voulait dire. Le New York Times, qui n’est pas connu comme un journal favorable à l’Eglise, avait déjà, en 1941, publié un éditorial qui parlait du pape comme la seule voix entendue dans le silence et dans les ténèbres, et de son courage d’élever la voix. Après la déportation de plus de 1000 juif s de Rome (15 seulement ont survécu), en octobre 1943, il a ordonné à l’Eglise d’offrir un asile général dans tous les couvents et les maisons ecclésiastiques, y compris le Vatican et Castel Gandolfo. Des estimations faisant autorité indiquent que 4500 juifs ont été cachés.
« Après la mort du pape, celle qui était alors le ministre des Affaieres étrangères et le Premier ministre d’Israël, Mme Golda Meir, a remercié le pape en termes chaleureux pour ce qu’il avait fait à une époque sombre pour le peuple juif. De même, celui qui était alors le grand rabbin Herzog de Jérusalem, a fait l’éloge du pape pour son action. Ce ne sont que quelques témoignages de personnes haut placées et bien informées, qui étaient bien conscientes de ce qui s’était passé et que l’on peu appeler des temoins de l’époque.
« Avec la pièce de théâtre imaginaire de Hochhut « le Vicaire » (1963), la perception a radicalement changé. Depuis lors, le reproche de silence sur l’extermination des juifs s’est largement répandu. Hochhut n’était pas un historien et il est aujourd’hui prouvé qu’il dépendait de sources communistes. L’un des premiers à défendre Pie XII a été un juif polonais, Joseph Lichten, un diplomate qui, ensuite, en tant que directeur du département des Affaires internationales de la Ligue anti-diffamation de la « B’nai B’rith », a joué un rôle éminent dans le dialogue interreligieux. La récente recherche historique sérieuse est nuancée. Il y a encore des juifs qui aujourd’hui défendent Pie XII et d’un autre côté, il y a des auteurs catholiques qui critiquent son attitude. Il n’y a donc pas de frontière claire entre juifs et catholiques, bien que la majorité des juifs, spécialement en Israël, soient toujours critiques. Est-ce que cela vient d’un manque d’information sur le travail de recherche historique le plus récent ? Je laisse la question ouverte.
« Le principal problème est l’accès aux sources. La demande d’ouverture des archives du Vatican est une demande légitime. Depuis 2003, l’accès est possible jusqu’à la fin du pontificat de Pie XI, en 1939, une période au cours de laquelle, le futur Pie XII était secrétaire d’Etat. Le matériel déjà accessible actuellement prouve que Pie XII j’a jamais été le pape de Hitler (comme l’a prétendu John Cornwell, 1999) ; au contraire, il a été le plus proche collabotrateur du pape Pie XI dans la publication de l’encyclique « Mit brennender Sorge » (1937), qui fait une ardente condamnation de l’idéologie raciale nazie. Les archives travaillent actuellement sous une intense pression sur le projet de préparer l’accès au pontificat de Pie XII, mais l’enregistrement et la préparation de millions de documents de façon professionnelle, comme il se doit, requiert du temps et seront achevés dans environ 5 ou 6 ans, après quoi, l’accès sera permis aux chercheurs. Car nous croyons que nous n’avons rien à cacher et que nous n’avons pas de motif d’avoir peur de la vérité.
« Onze volumes avec les documents du Saint-Siège ont déjà été publiés et récemment de nombreuses autres sources ont été rendues disponibles. Mais connaître les faits n’est qu’un aspect, car l’histoire n’est pas seulement une question de faits, mais aussi de l’interprétation historique des faits : dans ce cas, les faits qui se sont produits il y a plus d’un demi-siècle dans un contexte qui est non seulement politiquement mais aussi mentalement radicalement différent du nôtre, et difficile à comprendre pour une génération qui a eu la chance de ne pas avoir connu une telle expérience.
« La question fondamentale est le débat entre ceux qui auraient préféré une déclaration plus prophétique et ceux qui sont d’accord avec l’attitude du pape de jugement prudentiel. Pie XII n’était pas un homme aux gestes prophétiques ; c’était un diplomate et il a décidé de ne pas se taire mais d’être modéré dans ses déclarations publiques parce qu’il savait que des paroles plus fortes n’amélioreraient absolument rien ; au contraire, elles auraient provoqué une vengeance brutale et empiré la situation. Il décida par conséquent non pas d’agir par des paroles, mais d’aider pratiquement le plus qu’il le pouvait. De cette façon, seul à Rome, il a sauvé des milliers de vies juives.
« Ce fut un jugement de conscience dans une situation historique extrême, qui doit être évaluée en considérant la situation d’alors, l’information alors disponible, et les possibilité qu’on avait alors, et non pas à partir des vues et des possibilités d’aujourd’hui. Ce point est important pour la question d’une béatification éventuelle. Si elle avançait, ce ne serait pas un jugement historique mais un discernement spirituel sur la question de savoir si le pape, dans sa situation, a suivi sa conscience personnelle, et a fait la volonté de Dieu comme il la comprenait, dans cette situation là. Ainsi, l’éventualité d’une béatification n’exclurait pas de nouvelles recherches et interprétations historiques, et n’exclurait pas non plus l’idée que d’autres personnes, avec un caractère différent, auraient pu en venir à des conclusions différentes, et auraient pu agir différemment.
« Je le répète, je ne suis pas un historien ; je présume que la controverse sur l’interprétation va continuer et que la question historique restera une question ouverte, avec différentes interprétations, même après l’ouverture des archives et peut-être la discussion demeurera-t-elle ouverte jusqu’à la fin des temps. Car qui oserait dire le dermier mot d’un événement aussi monstrueux que l’Holocauste ? La seule réponse adéquate peut être la honte et la repentance, du fait que les catholiques n’ont pas réagi avec plus de force, et la metanoia, c’est-à-dire une nouvelle façon de penser, et un nouveau comportement, aujourd’hui, de façon à construire de nouvelles relations avec le peuple juif ».
(Pour le texte du cardinal Kasper en anglais, cf. le Times online)
Source : Zenit