Nous publions ici un article de Jacques Nobécourt, journaliste et historien, spécialiste d’histoire politique et des rapports entre le Vatican et l’Allemagne nazie. Il revient sur l’accusation du “silence” de Pie XII et rappelle que le pape a en réalité parlé.
L’un des principaux arguments avancés contre l’accusation de « silence » de Pie XII sur l’extermination des juifs, affirme qu’il en parla, en fait, dans son radiomessage de Noël 1942.
Qu’y disait-il ? En conclusion de ce long texte, le Pape formulait le voeu que « les peuples et les nations rejoignent les rangs de ceux qui, décidés à reconduire la société à l’inébranlable centre de gravité de la loi divine, aspirent à se mettre au service de la personne et de sa communauté ennoblie en Dieu ».Et il énumérait les catégories de victimes du conflit, qui réclamaient un tel voeu : « les morts innombrables (…), les mères, les veuves, les orphelins (…), les innombrables exilés » ; les « centaines de milliers de personnes, qui, sans aucune faute de leur part, et parfois uniquement pour des raisons de nationalité ou de race, sont destinées à la mort ou à une extinction progressive » ; venait ensuite une allusion aux victimes de « la guerre aérienne sans discernement ».
Dans son intégralité, ce très long message est d’abord un document doctrinal, exposant en cinq points les fondements d’une conception chrétienne de l’État et de la société.L’allusion de Pie XII aux persécutions antijuives répondait à trois mois de démarches pressantes des Anglo-Saxons, ainsi qu’il le dit lui-même au représentant américain. Le 17 décembre 1942, les Alliés publiaient une déclaration intitulée « Politique allemande d’anéantissement de la race juive », qui promettait que les responsables n’échapperaient pas au châtiment. Au même moment, le Saint-Siège recevait des télégrammes de demandes d’intervention venant de communautés juives d’Amérique latine, du Canada, d’Égypte… Quelques jours avant Noël, le ministre britannique Osborne remettait à Mgr Tardini, chargé de la diplomatie pontificale, un dossier sur l’évacuation du ghetto de Varsovie et le camp de Belzec.
Un texte jugé trop distancié des réalités de la guerre
Sur le moment, et au Vatican même, ce texte de Pie XII parut bien distancié des réalités de la guerre. Dans son journal, le P. McCormick, jésuite américain de Radio-Vatican, le trouve « beaucoup trop lourd, aux idées sans tranchant, exprimées de façon obscure ».
Les ambassadeurs accrédités furent généralement tièdes sur le style de ce message, « zébré de verbiage et de rhétorique », jugeait le représentant polonais à Rome.Le Pape les assura successivement qu’il avait été aussi « clair et compréhensible » qu’il lui était permis. À tous ce dont témoignèrent Léon Bérard, représentant de Vichy, et Tittmann, représentant américain près le Saint-Siège , il donna le même argument : s’il avait cité les nazis par leur nom, il aurait dû parler aussi des communistes par leur nom.
Le contraste fut très grand entre les réactions des diplomates alliés et celles de l’Axe. Mussolini, selon Ciano, en fut offusqué et railla : « Le Vicaire de Dieu ne devrait jamais parler ; il devrait rester dans les nuages. Son discours est un tissu de lieux communs, qui pourraient aisément être débités par le curé de Predappio » (son village de naissance).
En Allemagne, les nazis eux-mêmes accréditèrent le bien-fondé des déterminations du Pape. Sur le plan de l’idéologie, Heydrich, chef des services de sécurité SS, se prononça dans une circulaire interne, le 22 janvier 1943 : « De façon sans précédents, le Pape a répudié le nouvel ordre européen national-socialiste. Son allocution a été un chef-d’oeuvre de falsification cléricale de la philosophie national-socialiste. Il est vrai qu’il ne se réfère pas aux nationaux-socialistes en Allemagne, mais son discours n’est rien qu’une longue attaque contre tout ce que nous soutenons. Il voit la personne humaine en termes absolument individuels et libéraux. (…) Dieu, dit-il, regarde tous les peuples et les races comme dignes de la même considération. Il fait clairement allusion aux juifs. (…) Il accuse virtuellement le peuple allemand d’injustice envers les juifs et se fait lui-même le porte-parole des criminels de guerre juifs. »
« Le Vatican semble prendre une position contre l’Allemagne »
Sur le plan diplomatique, à la fin de janvier 1943, l’ambassadeur d’Allemagne, von Bergen, reçut l’ordre de protester contre cette rupture de « la traditionnelle attitude de neutralité » : « Le Vatican semble prendre une position politique contre l’Allemagne. Veuillez l’informer qu’en ce cas, l’Allemagne ne manquerait pas de moyens de représailles physiques. » Bergen eut une longue audience de Pie XII, qui garda le silence avant de dire très calmement que « la lutte entre l’Église et l’État n’aurait qu’une seule issue : la défaite de l’État ». L’ambassadeur ouvrit un gros dossier de plaintes, en particulier contre L’Osservatore Romano, et demanda enfin que « l’air soit clarifié ».
Dans son compte rendu d’audience pour Berlin, Bergen concluait que « Pacelli (patronyme de Pie XII, NDLR) n’est pas plus sensible aux menaces que nous ne le sommes », et estimait le clergé allemand prêt aux plus grands sacrifices.Les réactions immédiates des contemporains confirmèrent le sentiment de Pie XII. Premier à citer ici : Pierre Limagne, chroniqueur politique de La Croix, qui notait dans ses « Éphémérides » : « Message de Noël du Pape, très appuyé, et dont les cinq points sans doute, auront beaucoup de peine à trouver place dans les colonnes de notre Croix enchaînée. »
« Une voix solitaire brise le silence d’un continent »
Sans la moindre réserve, le New York Times du 25 décembre 1942 célébra le message d’un pontife qu’il n’avait cessé, depuis son élection, de porter aux nues. Tout un éditorial lui fut consacré, qui disait notamment :« Aucun sermon de Noël n’atteint une plus large assistance que ce message. C’est plus que jamais une voix solitaire qui brise le silence d’un continent. La chaire d’où il parle est plus que jamais la pierre sur laquelle l’Église fut fondée, île minuscule entourée de la mer de la guerre. En ces circonstances, en toutes circonstances en fait, on ne s’attendrait pas que le Pape parle en chef politique, en chef de guerre, ou dans une place qui ne soit pas celle d’un prêcheur destiné à se tenir au-dessus de la bataille, lié impartialement, selon ses mots, à tous les peuples, dans la volonté de collaborer à tout ordre nouveau qui apportera une paix juste. C’est à et pour tous les peuples en guerre que le Pape parle et sa position sur les issues fondamentales du conflit n’en ont que plus de poids et d’autorité. (…) Pie XII exprime aussi passionnément que nos chefs nos buts de guerre, de lutte pour la liberté, lorsqu’il dit que ceux qui veulent construire un nouveau monde doivent se battre pour le choix d’un gouvernement libre d’un ordre religieux. (…) Le Pape réaffirme l’enseignement de l’Église sur la dignité de la personne humaine et la dénonciation de l’humanisme marxiste, tout en appelant l’univers au rétablissement de la loi internationale. Un nouvel ordre, plus élevé, doit bientôt naître. Il est demandé par le sacrifice de ceux qui ont perdu leurs vies en cette guerre, les mères, les veuves et les orphelins, les innombrables réfugiés en fuite, par les milliers d’hommes qui, bien qu’ils soient sans faute ou pour toute autre raison de nationalité ou de race, sont condamnés à la mort ou à l’extinction. »
Le « New York Times » donnait des informations sur le génocide
Le New York Times, à l’époque, avait donc saisi le sens de ce que Pie XII avait laissé entendre. À ce degré de louanges, l’éditorial avait tout son prix, comme exemple de bien d’autres articles. Et son commentaire s’inscrivait à la suite de plusieurs mois d’informations sur les débuts du judéocide. Dès le début de septembre, et le 15 novembre encore, il avait donné le chiffre de deux millions de victimes.
Aujourd’hui, il se lit comme un article de journal, lié aux circonstances. Il faudrait le resituer dans le mouvement d’opinion que les organisations juives des États-Unis tentaient de développer pour forcer Roosevelt à une intervention publique. Le souci de ne pas s’aliéner les électeurs catholiques n’y était pas non plus étranger.
Si le Pape n’avait pas employé le mot « juif », les Alliés le faisaient apparaître pour la première fois dans le titre de leur déclaration du 17 décembre 1942. Mais il disparaîtrait dans la déclaration de Moscou sur la punition des crimes de guerre (octobre 1943), signée des trois Grands. Le sens de cette esquive ouvre un débat en soi : Nomen est omen, qu’on pourrait traduire par : « Le nom est un tabou ». En l’occurrence, comme le montrait le texte des SS, il désignait le concept fondamental de l’idéologie nazie et du dessein de Hitler.
Source : Croire.com
Il y a un léger problème toutefois : Reinhard Heydrich est mort des suite d’un attentat le 4 juin 1942…
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