Un livre publié en néerlendais revient sur la question Pie XII, avec quelques fragilités…
Comme c’était prévisible, l’année anniversaire de la mort de Pie XII fournit son lot d’attaques contre le pape de la Seconde Guerre mondiale. Les récentes déclarations de Benoît XVI, interprétées comme un prélude à la béatification (cf. Blog du 24 septembre 2008), donnent de la vigueur aux adversaires du pape Pacelli qui, tout en se proclamant non catholiques et même athées, s’opposent à sa béatification. Un exemple éclairant nous arrive de Belgique.
Dirk Verhofstadt, écrivain et juriste, publie en néerlendais un livre sur Pie XII, Pius XII en de vernietiging der Joden. Ne maîtrisant pas la langue néerlendaise, nous nous garderons de porter un jugement sur l’ouvrage et son contenu. En revanche, nous disposons de l’entretien que l’auteur a accordé au journal francophone La libre Belgique. L’information nous a été transmise par l’un des commentateurs du blog, et nous l’en remercions. C’est un exemple intéressant de la fragilité et du caractère suranné des offensives anti-Pie XII.
L’auteur reprend la thèse du pape froid, indifférent, anticommuniste et antidémocrate, au fait des atrocités commises par les nazis mais qui se tait délibérement pour des raisons politiques. Autrement dit, l’hostilité du pape au communisme et même à la démocratie libérale favorise son attentisme face à l’Allemagne nazie. Dirk Verhofstadt remarque que la seule intervention de Pacelli se situe en 1934. Elle se fait en faveur des Juifs convertis au catholicisme et menacés par les lois antisémites de Nuremberg. Or, il faudrait rappeler que le Vatican, Etat indépendant depuis 1929, et reconnu comme sujet de droit international, a signé un concordat avec l’Allemagne en 1933. Ce texte établit les fondements des relations entre les autorités civiles et la papauté en ce qui concerne les catholiques et uniquement eux. L’Eglise est donc dans son droit en manifestant sa réprobation face aux mesures prises en l’encontre de personnes qui, de son point de vue, n’appartiennent plus au judaïsme. Mais s’élever en faveur des Juifs allemands équivaut à une ingérence dans les affaires intérieures de l’Etat et à une violation du concordat(1). Or ni Pie XI ni Pacelli ne veulent d’une rupture provoquée par le Vatican. Le concordat leur donne un instrument juridique pour protéger les catholiques allemands mais il leur lie les mains pour les autres communautés. On peut porter le jugement que l’on veut sur cette position. Il faut avoir simplement l’honnêteté scientifique de l’analyser correctement.
Le sommet de la désinformation est atteint avec la prétendue adhésion de Pie XII à l’Ordre nouveau établi en Europe par les nazis. Dirk Verhofstadt évoque l’audience que le pape accorde au leader des oustachis croates, le sinistre Ante Pavelic. Il aurait pu poursuivre en précisant qu’il est reçu seul, sans sa suite, sans protocole, et que surtout il repart sans avoir obtenu du pape la reconnaissance de son Etat(2). Quant au pape antidémocrate, quelques précisions seraient les bienvenues. On se contentera de rappeler que le pape Pacelli a rompu avec les condamnations qui, de Léon XIII à Pie XI, pleuvaient sur le système démocratique issu de la Révolution française. C’est lui qui, sous l’influence du jésuite Gustav Gundlach et du dominicain Mariano Cordovani, finit par rapprocher les valeurs du christianisme et celles de la démocratie. Face à la menace que fait peser le communisme sur les libertés fondamentales, le pape voit dans le système démocratique un rempart(3). Pie XII adepte de l’Ordre nazi? Mais n’est-ce pas lui qui fait sonner les cloches lors de la signature du traité de Rome de 1957, fondement juridique de la construction européenne? Nous conseillons également la lecture des messages de Noël prononcés par le pape pendant la guerre. On y trouvera une multitude de références à la défense des libertés et de la dignité humaine. Ce ne sont pas, nous semble-t-il, des approbations du national-socialisme.
Dirk Verhofstadt reproche à Pie XII la lenteur de son intervention en faveur des Juifs de Hongrie. En effet, c’est le 25 juin 1944 que le pape s’adresse au régent Horthy, c’est-à-dire 21 jours après la libération de Rome par les Alliés. Donc au moment où le timoré pontife ne craint plus rien… Quelques rappels chronologiques sont ici nécessaires. Le 19 mars 1944, les nazis occupent la Hongrie. Ils peuvent désormais déporter les Juifs dans le cadre de la Solution finale. C’est le 14 mai que les déportations vers les camps de la mort commencent. Dès le lendemain, le nonce Rotta proteste en menaçant d’une intervention papale. Mais, comme le note Giovanni Miccoli, il avoue au cardinal Maglione ne pas croire à l’efficacité d’une telle protestation(4). Ce qui ne l’empêche pas de continuer ses pressions sur le pouvoir afin de sauver les persécutés. La connaissance qu’a le nonce des réalités de la déportation et un rapport du War refugge board sur l’extermination des Juifs transmis par les Etats-Unis convainquent Pie XII d’écrire au régent Horty pour protester, le 25 juin. Démarche qui pousse ce dernier à suspendre les déportations, jusqu’au mois d’octobre. A cette date, il est obligé de donner le pouvoir au chef des Croix fléchées et les déportations reprennent(5).
Quelques remarques supplémentaires. Dirk Verhofstadt accuse Pie XII de faiblesse face à Mgr Hudal, ouvertement pro-nazi, sans indiquer que ce prélat est, pendant la guerre et l’occupation de Rome, marginalisé par le pape(6). Ce qui ne l’empêche pas de se servir de lui pour menacer les Allemands d’une protestation publique lors de la rafle du 16 octobre. De plus, l’auteur établit une curieuse comparaison entre les Alliés et la papauté. Il admet que les premiers n’ont pas fait grand chose pour sauver les Juifs mais, note-t-il, “ils ont jeté des milliers de soldats dans les combats”. C’est un fait évident. Mais la comparaison est hasardeuse entre des puissances industrielles et une papauté protégée par quelques gardes suisses. Rappelons enfin que ni le Royaume-Uni ni les Etats-Unis ne sont intervenus dans la guerre pour sauver les Juifs de l’extermination. Quant à l’Union soviétique…
Dirk Verhofstadt revient à la thèse caricaturale, pourtant mise en pièces par l’historiographie, du pape indifférent, voire pronazi. Il s’inscrit dans la ligne de Cornwell qui, pourtant, s’est publiquement rétracté. Sous couvert d’analyses nouvelles, ses réflexions reprennent des thèses déjà connues, sans liens avec la réalité historique révélée par les archives.
1 Alessandro Duce, La Santa Sede e la questione ebraica (1933-1945), Roma, Edizioni Studium, 2006, p. 41.
2 Philippe Chenaux, Pie XII. Diplomate et pasteur, Paris, Le Cerf, 2003, p. 254
3 Ibid. p. 307-308.
4 Giovanni Miccoli, I dilemmi e i silenzi di Pio XII, Milano, Rizzoli, 2000, p. 379-380
5 Alessandro Duce, op. cit., p. 349. Pierre Blet s.j., Pie XII et la seconde guerre mondiale d’après les archives du Vatican, Paris, Perrin, 1997, p. 25
6 Andrea Riccardi, L’inverno più lungo. 1943-1944 : Pio XII, gli ebrei e i nazisti a Roma, Roma-Bari, Laterza, 2008, p. 86.
Des thèses déjà connues, sans liens avec la réalité historique révélée par les archives? Mon livre contient differents documents révélateurs, comme la note du 25 novembre 1941 du cardinal Faulhaber (trouvé dans l’ Archiv des Erzbistums München und Freising) qui montre que l’épiscopat allemand était depuis un stade précoce au courant de la ‘Judenfrage, Behandlung der russischen Kriegsgefangenen, Greuel der SS in Russland usw’ (“Le problème des juifs, le traitement des prisonniers de guerre russes, l’atrocité de l’SS en Russie, etc”). Le 26 septembre 1942 l’ambassadeur Americain Myron Taylor demande au pape s’il peut confirmer que les Juifs sont assassinés systematiquement. Le Vatican répondait le 10 octobre 1942 ‘qu’on à pas encore pu contrôler les nouvelles répondues sur le sort des Juifs’. Dans les Actes et Documents du Saint Siège ADSS j’ai trouvé cinq documents de different sources qui preuvent que le Saint Siège et le pape était au courant des atrocités commis par les nazi’s contre les Juifs. Dans mon livre je parle de sept documents du ADSS de la période de mars à juin 1944 qui démontrent que Pie XII était au courant de l’extermination des juifs hongrois et dans lesquels on lui suppliait d’intervenir rapidement. Il ne le fit pas. Entre le 15 mai et le 19 juin, plus de 437.000 juifs hongrois furent déportés à Auschwitz et y furent presque tous assassinés dans les chambres à gaz. Une réaction du pape se fit attendre jusqu’au 25 juin 1944, nota bene 21 jours après la libération de Rome et du Vatican. Dans mon livre j’ai publié la lettre de la Congrégation du Saint Office (‘approuvé par le St-Père’) du 13 octobre 1946, adressée au nonce Roncalli (retrouvé dans les journaux intimes du Pâpe Jean XXIII). Elle contient la décision de cette Congrégation de ne pas rendre aux membres de leur famille juive, même pas à leurs propres parents, les enfants juifs qui pendant la guerre avaient eté confiés à des familles ou à des institutions catholiques et qui avaient été baptisés.