L’encyclique Mediator Dei est sans nul doute l’une des plus profondes écrites par Pie XII. L’abbé Claude Barthe nous livre ici une première approche de ce texte si riche, sous l’aspect particulier de la nature du sacrifice de la messe. Cet écrit est extrait d’une introduction à l’encyclique, rééditée récemment aux éditions de l’Homme Nouveau.
Le passage culminant de l’encyclique Mediator Dei me semble être un développement à valeur magistérielle, qui apporte des précisions doctrinales décisives sur la nature du sacrifice eucharistique, et vient couronner l’œuvre du Concile de Trente en ses 13e session et 22e session.
Le concile de Trente avait défini : « Si quelqu’un dit que, dans la messe, n’est pas offert à Dieu un véritable et authentique sacrifice… qu’il soit anathème », précisant que « dans ce divin sacrifice qui s’accomplit à la messe, ce même Christ est contenu et immolé de manière non sanglante, lui qui s’est offert une fois pour toutes de manière sanglante sur l’autel de la Croix (He 9, 14, 27) ». C’est un authentique sacrifice non sanglant totalement référé à l’unique sacrifice du Golgotha, avec lequel il ne fait pas nombre tout en le réitérant sacramentellement. Toute la théologie post-tridentine va réfléchir sur cet énoncé magistériel – unicité du sacrifice du Christ, mais réalité du sacrifice accompli lors de chaque messe – en réponse aux négations protestantes, dont la plus radicale était celle de Calvin qui disait : il n’y a pas de sacrifice de la messe, mais une participation du croyant aux fruits du sacrifice du Calvaire, puisque Jésus Christ s’y est offert une fois pour toutes (He 9, 12 , Calvin oubliant que, dans le contexte de l’épître aux Hébreux, « une fois pour toutes » s’opposait à la multiplication impuissante des sacrifices anciens).
Il n’est pas possible de résumer ici, même brièvement, quatre siècles d’études sur ce sujet. Au XXe siècle, s’est manifestée une forte tendance à estomper le caractère d’acte proprement sacrificiel de la messe. Dom Casel (décédé en 1948), par exemple, estimait que l’acte unique du sacrifice du Calvaire devient « mystériquement » présent à la messe, mais le sacrifice de la messe ne serait pas alors un acte propre, l’acte sacrificiel de la Croix ne laissant aucune place à un acte de renouvellement et formant toute la réalité du sacrifice de l’autel (Faites ceci en mémoire de moi, publié en français au Cerf, en 1962). Pour les PP. de la Taille (Mysterium fidei, Beauchesne, 1921) et Lepin (L’idée du sacrifice de la messe d’après les théologiens depuis l’origine jusqu’à nos jours, Beauchesne, 1926), la messe constituait un sacrifice d’oblation par l’Église, reproduisant le sacrifice d’oblation-immolation par le Christ au Calvaire, ce qui introduisait une nuance hasardeuse entre immolation et oblation.
S’appuyant sur saint Thomas (Somme théologique, q 77 a 7, ; Somme contre les Gentils, l 4, c 61), Pie XII précisa donc dans Mediator Dei que le sacrifice de la messe est produit par l’avènement sur l’autel du Christ glorieux sous le signe des espèces séparées, acte d’oblation et d’immolation se spécifiant sur les espèces, c’est-à-dire se réalisant par la double consécration : « Le sacrifice de l’autel n’est pas une pure et simple commémoration des souffrances et de la mort de Jésus-Christ, mais un vrai sacrifice, au sens propre, dans lequel par une immolation non sanglante, le Souverain Prêtre fait ce qu’il a déjà fait sur la Croix en s’offrant lui-même au Père éternel comme une hostie très agréable. … La manière dont le Christ est offert est cependant différente. Sur la Croix, en effet, il a offert à Dieu tout lui-même et ses douleurs ; mais l’immolation de la victime fut réalisée par la mort sanglante qu’il a subie librement. Sur l’autel au contraire, à cause de l’état glorieux de sa nature humaine, “la mort sur lui n’a plus d’emprise” (Rm 6, 9), et par conséquent l’effusion de sang n’est plus possible, mais selon la disposition de la sagesse divine, le sacrifice de notre Rédempteur est montré de façon admirable par des signes extérieurs qui renvoient à la mort. En effet par la “transsubstantiation” du pain en Corps et du vin en Sang du Christ, son Corps ainsi que son Sang sont réellement présents, et les espèces eucharistiques sous lesquelles ils est présent figurent la séparation du Corps et du Sang. C’est pourquoi la présentation en mémorial de sa mort qui s’est produite réellement au Calvaire est renouvelée dans les différents sacrifices de l’autel, lorsque par des signes clairs le Christ Jésus est signifié et montré dans l’état de victime ».
Cet enseignement est aujourd’hui d’une particulière prégnance, alors même que la plupart des théologiens les plus classiques disent au mieux que la messe nous met en présence du sacrifice de la Croix, ce qui n’est pas faux, mais insuffisant. Pie XII usait d’un pluriel décidé : « les différents sacrifices de l’autel ». C’est un acte identique à celui de la Croix, mais accompli dans un autre ordre, l’ordre sacramentel, et comme tel répété en autant d’actes sacramentels qu’accomplissent en la personne du Christ les prêtres de l’Église.
Pour commander l’encyclique :
Extrait de la présentation par l’abbé Claude Barthe, de l’édition pour les soixante ans de Mediator Dei, par les Éditions de L’Homme nouveau, 12, rue Rosenwald, 75015 Paris, décembre 2007, 13 €, commande par Internet :
Je voudrais simplement dire à quel point depuis le catéchisme de mon enfance je suis perturbé par cette effrayante réalité du sacrifice de sang dont je n’ai toujours pas compris la nécessité.
Si Dieu veut me sauver et que j’entre dans son éternité qu’il le fasse mais sans sacrifier honteusement son propre Fils.
Le Golgotha est un sacrifice et je ne veux pas être l’enjeu d’un sacrifice de sang. La peine de mort est heureusement abolie. Le Christ m’aime? Eh bien je réponds à son amour en le suppliant de surseoir à sa crucifixion. Je ne veux plus de sang. Jamais. Ni entre les hommes. Ni entre Dieu et les hommes.
Yawhé, le Dieu d’Israël a aboli les sacrifices de sang. Je ne comprends pourquoi le Dieu catholique les a rétablis. Merci
Cette réflexion me fait penser à l’indignation de saint Pierre, qui vient pourtant d’être félicité par le Christ pour avoir professé sa divinité, lorsque Notre-Seigneur commence à parler de sa Passion et de son sacrifice à venir. Saint Pierre fait des remontrances au Christ, refuse ce merveilleux plan divin et Jésus, qui le complimentait peu avant, lui promettant d’être me roc sur lequel il bâtirait son Eglise, lui dit : Arrière Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu. Plus tard, après sa Résurrection, le Christ expli-quera aux disciples d’Emmaüs tout ce qu’annonçaient les Ecritures et pourquoi il fallait que tout cela fût accompli. Il ne nous appartient pas de juger le plan divin mais seulement de l’adorer. En revanche, certaines explications qui en ont été données (le courroux du Père, le besoin de ce sacrifice pour l’apaiser) peuvent être plus difficiles à accepter. Certaines hérésies comme le jansénisme ont même aggravé cette situation, quitte à détruire ensuite la notion de sacrifice.Il faut relire certains écrits de saint Bonaventure ou qui lui sont attribués (la dispute entre la justice et la miséricorde divine, et le Christ qui vient devant le Père pour satisfaire les droits de l’une et de l’autre). Par ailleurs il suffit d’adhérer aux paroles de Notre-Seigneur : il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime, aux enseignements des saints Apôtres Jean : Dieu est amour, et Paul : relire ses écrits magnifiques sur le sacrifice du Christ et son efficacité, pour mesurer l’ampleur de l’amour du Christ pour nous, amour qui est allé jusqu’ à verser tout son sang alors que rien ne l’y obligeait. D’ailleurs, la dévotion au Précieux Sang et les reliques de celui-ci vénérées à Bruges ou à Neuvy-Saint-Sépulcre (Indre)doivent nous faire toujours aimer davantage Notre-Seigneur pour nous avoir rachetés à un si haut prix. Aimons et adorons la sainte volonté de Dieu et les moyens utilisés par Lui pour notre salut, et remercions-Le de tout ce qu’Il a fait par amour pour nous.
Une remarque élémentaire pour comprendre de quel sacrifice il s’agit: ce n’est pas le Père qui crucifie son Fils mais les hommes pécheurs. Le sacrifice de la messe doit être compris à la lumière de l’amour de Dieu Trinité envers les hommes. Evitons par conséquent d’y projeter sans nuance les sacrifices païens.
Faber, je vous conseille de lire R. Girard
Dans les cultes païens et juifs, c’est l’homme qui se sacrifie ou sacrifie une personne ou un animal.
Le christianisme renverse totalement le sens du sacrifice, puisque c’est Dieu qui se sacrifie aux hommes pour le sauver.