Mgr Clemens August von Galen, évêque de Munster, est une – sinon la plus – grande figure de la lutte contre la nazisme en Allemagne. Paradoxalement, il est également victime d’une légende noire reposant sur une manipulation qui n’est pas sans faire penser à celle qui atteint Pie XII.
Nous avons demandé à l’historien Marc-Laurent Maregiano-Koenig, spécialiste de la question, de revenir sur cette personnalité hors du commun. Nous le remercions vivement d’avoir accepté cette collaboration. Son étude paraîtra en quatre parties.
On évoque fréquemment, en France, le rôle de l’Eglise catholique sous le IIIe Reich. Et lorsqu’on en parle, c’est bien souvent pour accuser le clergé de complicité avec le nazisme, voire, dans le cas de Pie XII, de complicité avec l’antijudaïsme nazi. De toute évidence, ce discours rabâché ne rend objectivement compte ni de la réalité des persécutions anticatholiques commises par les nazis, ni de la réaction des catholiques face à ces persécutions. Le cas de Mgr von Galen est révélateur de cette ignorance française. Clemens August von Galen (1878-1946), évêque de Munster entre 1933 et 1946 fut une figure de proue de la résistance catholique au nazisme. Il est aujourd’hui aussi inconnu en France qu’il fut célèbre à cette époque en Allemagne. Sa béatification en 2005 par Benoît XVI n’a pas contribué à lui redonner une popularité, en France en tout cas. Ses trois sermons prononcés en 1941 contre la Gestapo, contre les persécutions policières nazies et contre le programme d’euthanasie des faibles et des malades, lui conférèrent à l’époque une renommée internationale. Pour tous, pour les Allemands nazis comme pour les Allemands antinazis, pour les Alliés comme pour tous les résistants et déportés, Mgr von Galen fut l’exemple même du courage et de l’esprit de résistance à l’égard du régime hitlérien. Pour tous, il était clair que Mgr von Galen fut, dès 1933, un adversaire résolu du nazisme. En tout cas, les choses étaient unanimement perçues de cette manière jusque dans les années 60. Jusqu’à ce que vint un certain Hochhuth…
Voilà pourquoi un article sur Mgr von Galen se justifie pleinement sur un blog consacré à Pie XII. En réalité, il y a un parallèle flagrant entre le traitement médiatique de Pie XII et celui de Mgr von Galen depuis quelques décennies. Au sujet de l’un comme de l’autre, de l’Evêque de Rome comme de celui de Munster, les années 60 ont vu se déchaîner une vive polémique quant à leur attitude lors du régime nazi. Pour l’un comme pour l’autre, c’est le même procès, avec les mêmes accusateurs (toujours les mêmes) et les mêmes défenseurs. Aux deux ecclésiastiques, on reproche la même chose sans apporter la moindre preuve : complicité avec l’idéologie nazie dont le catholicisme serait proche (anticommunisme), sentiment antisémite, volonté d’éradiquer le peuple juif, insensibilité au sort des victimes non exclusivement catholiques, etc. C’est exactement ce qu’un Rolf Hochhuth reprocha à Mgr von Galen dans sa pièce de théâtre de 1963 : Le Vicaire. Celle-ci, bien qu’étant avant tout une attaque contre Pie XII, en profite pour régler ses comptes avec toute la hiérarchie catholique et pour écorner au passage l’image de résistant qui collait à Mgr von Galen jusqu’à cette date.
Von Galen fait figure d’ignoré dans le monde francophone. S’il est encore relativement célèbre en Allemagne, par le nombre de rues, de places, d’écoles, de salles communales qui portent son nom, on peut dire que le public français n’a, dans sa large majorité, jamais entendu parlé de lui.
Revenons donc très brièvement sur la vie de Mgr von Galen. Dans cet exposé, nous nous bornerons à donner quelques éléments de réflexion, sans prétendre faire une biographie exhaustive de l’Evêque de Munster. Il nous semble important, afin de se faire une idée du personnage, de revenir sur les fondements philosophiques et théologiques qui guidèrent l’action de Mgr von Galen jusqu’à sa mort en 1946. Cela nous permettra d’apporter un éclairage nouveau sur son hostilité au nazisme. Enfin, nous reviendrons sur la fameuse polémique historiographique.
- Clemens August von Galen, un catholique de droite
Traduire les convictions religieuses profondes de von Galen en termes purement politiques est certainement une simplification. Mais celle-ci nous semble nécessaire pour saisir le positionnement “idéologique” de Clemens August et les raisons de son opposition de principe au régime hitlérien.
Il semble aujourd’hui paradoxal de dire qu’un catholique comme von Galen put être un adversaire du nazisme en raison même de ses idéaux réactionnaires et contre-révolutionnaires. En effet, nous avons pris l’habitude de situer la résistance à Hitler du côté des communistes ou des démocrates (voire des démocrates-chrétiens). Le cas de Mgr von Galen bouleverse un schéma auquel nous avons été habitués et nous rappelle qu’une résistance non moins farouche est née dans les rangs des catholiques convaincus et traditionnels, qu’ils furent simples laïcs ou même Evêque comme Galen.
Et affirmer que Mgr von Galen fut un homme « de droite » n’est pas peu dire… Il naquit en 1878 à Dinklage dans le Oldenbourg, dans une famille aristocratique et rurale, très pieuse et très aimante. Les conditions de vie furent plus que spartiates. Onzième d’une famille de treize enfants, le petit Clemens August est immédiatement plongé dans les affaires de son temps : son père, député du Zentrum (le parti catholique allemand), est confronté comme tous les catholiques de cette époque, à une nouvelle vague de persécutions anticatholiques : le Kulturkampf organisé par Bismarck. Ce traumatisme, largement sous-estimé par les historiens du IIIe Reich, est très important dans la psychologie du clergé comme dans celle du futur Evêque de Munster entre 1933 et 1945.
Clemens August grandit dans un milieu familial intellectuel qui lui transmet, en même temps que l’amour de la foi catholique, le goût de la lecture et des études.
En 1904, Clemens August von Galen fut ordonné prêtre à Munster et envoyé, deux ans plus tard à Berlin, la grande ville libérale et protestante. Là, il se démarque par sa grande charité envers les plus pauvres et pour son dévouement au service divin.
Il est à ce moment, et le restera jusqu’au bout, un catholique enraciné et un ardent patriote. Il est capital de garder à l’esprit les idéaux de von Galen si on veut saisir son attitude ultérieure, à partir de 1933. En 1914, il veut s’engager comme volontaire dans l’aumônerie militaire, aller au front et partager le sort de son pays en guerre.
Lorsque l’Allemagne s’effondre – en 1918 – militairement, politiquement, socialement, économiquement, il est effrayé par la cruauté des révolutionnaires bolcheviques et par leur acharnement contre la religion chrétienne. En même temps, Galen s’oppose vivement au Traité de Versailles et à la République de Weimar. Patriote, il ne supporte pas de voir son pays réduit et humilié par Versailles. Catholique antimoderne, il n’admet pas les fondements de la démocratie libérale : souveraineté populaire, suffrage universel, droits de l’homme qui se substituent au droit divin. Sa doctrine est celle de la Royauté sociale du Christ : le Christ est Roi des nations ; la démocratie libérale conduit au matérialisme et à l’apostasie tout autant que le communisme et plus tard le nazisme.
L’abbé Galen est connu pour ses attaques contre le laïcisme et contre la sécularisation de la société. En 1932, il écrit un ouvrage fondamental, presque toujours occulté par ses défenseurs récents, dans lequel Galen expose sa vision du monde. Il choisit un titre évocateur : Pest des Laizismus, en français : La Peste du laïcisme. Dans cet ouvrage, Galen dénonce les idées libérales, issues des Lumières anticatholiques et de la Révolution française. Idées qui donneront naissance à la démocratie moderne et à la république. Pour Galen, ce qui sous-tend tout l’édifice moderne, c’est le naturalisme et le matérialisme : toute forme de libéralisme, de socialisme ou de nazisme ne sont que des déclinaisons de la même idéologie naturaliste visant à éloigner l’homme de Jésus-Christ. Il s’agit de glorifier la nature (la nature humaine, le crée) au détriment de Dieu (l’incrée). Le sujet pensant devient roi, s’auto-proclame libre et souverain, et chasse Dieu de son trône pour s’y asseoir à sa place. Galen, en réalité, ne fait que reprendre et développer l’enseignement traditionnel de l’Eglise en matière politique et sociale, tel qu’il a été magistralement exposé par Pie XI en 1925 dans Quas Primas.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’on a là le cœur même des convictions politiques de Mgr von Galen. On le voit, celles-ci ne sont animées que de considérations théologiques et spirituelles : Galen n’est pas un idéologue, ni un politique. Il ne promet aucun paradis terrestre ni le bonheur dans le monde. Il ne fait que peser toute chose en fonction de la foi. S’il a condamné le nazisme plus tard, c’est uniquement en raison de cette démarche intellectuelle et non pour défendre tel camp (le libéralisme, la démocratie) contre tel autre (le nazisme). Avec une grande cohérence intellectuelle, il met nazisme, communisme et libéralisme dans le même sac : il s’agit toujours d’idéologies matérialistes et antichrétiennes qui conduiront les peuples au chaos. C’est ce qu’il écrit en 1932 : l’Allemagne est malade de son apostasie ; il faut que l’Allemagne se convertisse, qu’elle arrête d’adorer l’argent, le sexe, l’esprit de liberté, la race ou le prolétariat, sans quoi elle sera justement châtiée par Dieu.
Il convient de préciser, dans ce portrait « idéologique » de Galen, qu’à aucun moment celui-ci n’est tenté par la simplification antisémite qui consisterait à accuser les juifs d’être responsables de l’apostasie du peuple allemand. Pour Galen, comme tout catholique, c’est chaque homme qui est pécheur : chaque Allemand doit ouvrir les yeux et se détourner du vice et des idéologies démoniaques…
A la veille de la prise du pouvoir par Hitler, Galen est catholique, aristocrate, nationaliste, anti-républicain, « réactionnaire », anti-communiste, mais il n’est pas antisémite. Son attitude en tant qu’évêque le prouvera.
Marc-Laurent Maregiano-Koenig
Diplomé de Sciences-Po (Paris) et titulaire – entre autres – d’un Master allemand de sciences-politiques (Université de Iéna), l’historien Marc-Laurent Maregiano-Koenig est actuellement en Doctorat d’Histoire contemporaine à l’université de Paris IV-Sorbonne. Sa thèse porte précisément sur Mgr von Galen.
D’accord pour ce qui concerne Mgr Von Galen, homme juste et courageux. Mais expliquez-moi l’attitude de Sa Sainteté Pie XII, lorsque les nazis raflaient les juifs à Rome sous les murs du Vatican ?????
Merci
Bonjour Monsieur,
Votre question trouve sa réponse dans de nombreux articles de ce blog. Elle est d’ailleurs, dans une certaine mesure, à la source de la création de ce blog. Nous vous invitons donc à parcourir la synthèse historique ainsi que les rubriques : “Pie nazi ?” et “Pie XII antisémite ?”
Bien à vous,
Blandine Fissin
Je ne connaissais pas du tout Mgr von Galen. Merci beaucoup de nous faire découvrir pareille figure… On reste sur sa faim. Vivement la suite et bravo pour ce blog si complet et si passionant.
Merci pour ce portrait en 4 parties de cette si belle figure du catholicisme du XXe siècle.
J’avais appris à connaître ce prince de l’Eglise en pension, il y a plus de 30 ans, grâce à la religieuse dominicaine, professeur d’Allemand, qui nous faisait traduire les textes de ce grand prélat. J’ai été bien émue de voir qu’il était en voie de monter sur les autels.
Merci à tous ceux qui oeuvrent pour cette réhabilitation de ces hommes si durement éprouvés.
MAD