Quelle fut l’attitude du cardinal Eugenio Pacelli /Pie XII, germanophile reconnu, face au nazisme ? Sa phobie du communisme l’amena-t-il sinon à soutenir du moins à laisser faire, implicitement ou explicitement, le national-socialisme ? Comment Pie XII était-il perçu par les nazis ?
1) Mgr Eugenio Pacelli : du nonce apostolique en Allemagne au secrétaire d’Etat
De 1917 à 1929, Mgr Eugenio Pacelli est nommé nonce apostolique à Munich, puis à Berlin. Durant toute cette période, le NSDAP est encore un groupe ultra minoritaire : « Encore marginal en 1929, le parti nazi devient avec la grande crise une force politique de tout premier ordre, recrutant ses adhérents (200 000 en 1930) et ses électeurs dans les catégories les plus touchées . »* Jusqu’en 1929, ce sont surtout certains évêques qui y sont confrontés, notamment Mgr Faulhaber à Munich.
¤ Des amitiés déterminantes
C’est là qu’il se lie d’amitié avec ceux qui vont devenir les figures emblématiques de la résistance au nazisme :
Le jeune abbé Konrad von Preysing dont il favorisera la nomination à l’évêché d’Eichâtt en 1933, puis à archevêché de Berlin en 1935. Pie XII lui-même le créera cardinal en 1946.
Mgr Michael Faulhaber, nommé cardinal l’année même où Mgr Pacelli arrive à Munich. C’est principalement avec Mgr Faulhaber que le cardinal Pacelli rédigera Mit brennender Sorge.
¤ Un nonce lucide
Mgr Eugenio Pacelli n’est pourtant pas dupe de la menace nazie – et plus généralement raciste – qui pèse en Allemagne. Il multiplie les mises en garde à ce sujet, notamment dans de célèbres discours, à Lisieux, à Lourdes et à Paris. L’historien David Dalin, rabbin de New-York, révèle dans une étude remarquable** que, sur 44 discours que Mgr Pacelli a prononcés en Allemagne entre 1917 et 1929, 40 dénoncent les dangers imminents de l’idéologie nazie.
¤ Germanophile ?
Pie XII ne s’en est jamais caché. Dans des conversations privées, dans divers échanges épistolaires et même dans certains discours, il souligne l’importance de la culture allemande dans sa vie. Ce peuple meurtri touche également son cœur de prêtre. Mais cette Allemagne pour laquelle il éprouve une réelle tendresse n’est en rien celle que désirent et construisent les nazis.
Pourquoi dès lors une telle accusation ? Elle repose essentiellement sur les rapports de von Weiszäcker, ambassadeur d’Allemagne près le Saint-Siège. Von Weiszäcker donne une image d’un pape germanophile à l’excès, qui tranche singulièrement avec le reste de l’attitude de Pie XII. Ces rapports seront repris et interprétés au pied de la lettre par deux historiens : Guenther Lewy en 1964 et surtout Saül Friedländer en 1966.
L’historien Jean-Marie Mayer, dénonce cette interprétation littérale : « L’ambassadeur souhaitait délibérément donner cette image du pape à Hitler afin d’éviter que les nazis ne s’en prennent à la souveraineté du Vatican et au pape lui-même. »
¤ Cardinal Eugenio Pacelli, secrétaire d’Etat
Mgr Eugenio Pacelli est créé cardinal sensiblement en même temps qu’il devient secrétaire d’Etat. Il multiplie les actions diplomatiques et soutient les évêques allemands dans leur opposition à la doctrine nazie.
Il signe le concordat avec von Papen le 20 juillet 1933. Ce concordat est à la source de nombreuses attaques : il est synonyme de complicité entre l’Eglise et le national-socialisme. Il est vrai qu’à première vue cet accord semble contradictoire avec les différentes dénonciations des évêques allemands. De fait, il provoquera une vraie rupture au sein de l’épiscopat. Mais il ne faut cependant pas en exagérer le sens et regarder de plus près, d’une part sa teneur, d’autre part le processus qui a conduit à cet accord.
Ce concordat ne sous-entend aucunement, comme certains historiens l’écrivent, que le Vatican reconnaît le régime nazi. Il énonce simplement des dispositions on ne peut plus classiques sur la liberté religieuse de l’Eglise. En échange de quoi, le clergé renonce à toute activité politique. Par ailleurs, ce texte ne fait que reprendre exactement celui qui avait été préparé avec la république de Weimar.
L’épiscopat allemand est divisé sur la nécessité d’un tel acte. Une majorité s’y déclare favorable, soutenue par le pape Pie XI lui-même qui n’hésite pas à se déclarer prêt à « traiter même avec le diable pour sauver des âmes ». Toutefois, sur les conseils du cardinal Pacelli, le pape se montre plus réticent et opte pour la prudence. Mais c’est sans compter sur quelques évêques allemands qui précipitent le processus. Le cardinal Pacelli est furieux mais obtempère, car il sait que ce concordat protègera les catholiques de plus grandes persécutions, du moins les premières années. Il confie néanmoins dès le mois suivant au ministre britannique Kirckpatrick que « si le gouvernement allemand violait le concordat – et on pouvait s’y attendre à coup sûr – le Vatican aurait un traité sur lequel il pourrait fonder ses protestations ».
L’historien juif David Dalin évoque une lettre ouverte du cardinal Pacelli à l’évêque de Cologne, datée de 1935, dans lequel il appelle les nazis « faux prophètes à l’orgueil de Lucifer ». Le rabbin mentionne également un discours prononcé par le secrétaire d’Etat à Lourdes dans lequel il dénonce les idéologies « possédées par la superstition de la race et du sang ».***
La plus grande action du cardinal Pacelli au poste de secrétaire d’Etat reste surtout la publication de l’encyclique Mit Brennender Sorge.
- Serge BERSTEIN et Pierre MILZA, op. cit., p. 313
- David DALIN, Le Mythe du pape d’Hitler, Tempora, 2007
- Id.
- David DALIN, Le Mythe du pape d’Hitler, Tempora, 2007
A propos de ce passage : "La plus grande action du cardinal Pacelli au poste de secrétaire d’Etat reste surtout la publication de l’encyclique Mit Brennender Sorge. " Dans quelle mesure Pie XII at-il participé à cette encyclique de Pie XI ?