Dans son Dictionnaire amoureux des Papes (2016), Bernard Lecomte consacre bien évidemment une notice à Pie XII. Rappelant sa formation de juriste et de diplomate, il dresse la liste des différents postes que celui-ci a occupé avant d’être élu au siège de Pierre. L’auteur souligne bien le paradoxe de Pie XII : pourquoi ce pape salué comme le défenseur de Rome et le sauveur de nombreux juifs bénéficie-t-il aujourd’hui d’une image de collaborateur ?
Si la notice se montre plutôt favorable à Pie XII on pourra regretter qu’il ne mentionne pas davantage les raisons de l’attaque qu’il a subi et l’orchestration de cette attaque par l’URSS. De même, comme le fait remarquer l’auteur, le pontificat de Pie XII s’est achevé treize ans après la fin de la guerre. Il est donc dommage que l’auteur ne mentionne pas les actions menées durant ce pontificat et les nombreux textes et encycliques écrits par ce pape. Certes les projecteurs braqués aujourd’hui sur Pie XII sont essentiellement consacrés au conflit mondial mais il aurait justement été utile, dans ce dictionnaire amoureux des Papes, de les détourner quelque peu de la guerre pour éclairer d’autres versants de son action.
Jean-Baptiste Noé, historien
Extrait du livre (p. 486-489) de Bernard Lecomte :
Pie Xll (1939-1958)
Le dernier des autocrates
Eugenio Pacelli, lui, était né pour être pape. Toute sa biographie va dans ce sens. D’abord, il est issu d’une famille qui sert la papauté depuis trois générations : son grand-père Marcantonio a fondé L’Oservatore Romano et son frère aîné Francesco fut le négociateur des accords du Latran ! Ensuite, il est romain : il a passé toute son enfance à quelques jets de pierre du Vatican, sur l’autre rive du Tibre. Enfin, c’est un surdoué : toujours premier de sa classe, bac avec mention, facilité désarmante en droit, don des langues, etc. Ajoutez à cela une foi vivace et d’avantageuses relations familiales : très tôt, il entre à la curie comme assistant du chef de la diplomatie vaticane de Pie X, Mgr Pietro Gasparri, dont il devient l’adjoint dès 1911. Il n’a que trente-cinq ans.
À ce poste, il traite d’importants dossiers — la séparation des Églises et de l’Etat en France, la préparation d’un nouveau Code de droit canonique — qui le préparent aux plus hautes responsabilités. Au printemps 1917, il est sacré évêque et envoyé comme nonce apostolique à Munich, où il plonge au cœur des tractations engagées par Benoît XV pour sortir du conflit mondial. C’est là qu’il va subir l’agression d’un commando de communistes spartakistes, en avril 1919, avant d’être bientôt transféré à Berlin où se joue, dans les salons huppés des chancelleries, le sort de l’Europe. En 1930, c’est un diplomate hors pair et un germaniste confirmé qui devient, à cinquante-quatre ans, le secrétaire d’Etat de Pie XI.
Pendant neuf ans, il sert loyalement ce pape difficile à vivre — les colères d’Achille Ratti sont légendaires — et l’assiste notamment dans la rédaction de ses encycliques de 1937 fustigeant le nazisme et le communisme. Quand Pie XI meurt en février 1939, alors que le grondement des chars hitlériens fait trembler l’Europe, personne ne doute de son remplacement par le cardinal Pacelli : celui-ci est en effet désigné par le conclave le 2 mars, en moins de vingt-quatre heures. À la satisfaction de tous les États européens, à l’exception du Reich allemand.
Le nouveau pape fait tout pour enrayer la marche vers la guerre et proclame, pour cela, la neutralité du Saint-Siège. En vain. Ses appels à la paix sont sans effet, et il ne parvient pas à dissuader Mussolini de rallier Hitler. Impuissant face à la barbarie, on lui reprochera plus tard
cette neutralité qui l’empêche — autant que sa crainte de représailles massives — de dénoncer haut et clair, après 1942, la politique d’extermination des juifs menée par les nazis.
À la fin de la guerre, Pie XII est fêté par les Romains comme le defensor civitatis de la Ville éternelle — il a activement contribué à en éviter la destruction en 1944 — et par la communauté juive comme un bienfaiteur — il a sauvé des milliers de juifs en leur ouvrant les portes des couvents et des séminaires de la région. C’est beaucoup plus tard, après la sortie de la pièce Le Vicaire à Berlin en 1963, que l’on accusera durement ce pape de n’avoir pas assez protesté contre l’Holocauste.
Cette accusation est-elle injuste ? La question n’est pas simple, et il serait présomptueux de la traiter ici en quelques lignes. Faire de Pie XII, germanophile convaincu, un antisémite ou un pronazi avéré est contraire à la réalité. De même que l’accuser de partialité ou de pusillanimité. Mais que sa voix puissante ait manqué, à l’époque, n’est
pas contestable non plus, comme l’a magnifiquement écrit dès 1951 Fécrivain François Mauriac dans sa préface au Bréviaire de la haine de Léon Poliakov :
Nul doute que Poccupant n’ait eu des moyens de pression irrésistibles et que le silence du pape et de sa hiérarchie n’ait été un affreux devoir; il s’agissait d’éviter de pires malheurs. Il reste qu’un crime de cette envergure retombe pour une part non médiocre sur tous les témoins qui n’ont pas crié, et quelles qu’aient été les raisons de leur silence.
Après avoir tenu la barre de l’Église pendant ces cinq ans de fracas et de drames, Pie XII régnera encore pendant treize années. Comme un ascète au visage émacié, au port altier, aux gestes hiératiques, à la voix théâtrale. Comme un autocrate qui ne jugea pas utile de remplacer son secrétaire d’État, Mgr Maglione, décédé en 1944. Comme un solitaire sûr de sa valeur et de son jugement, juste entouré de quelques proches parmi lesquels sa gouvernante, la célèbre sœur Pascalinafl qui Passistera jusqu’à sa mort dans sa résidence de Castel Gandolfo, le 9 octobre 1958.
Ses obsèques, très émouvantes, donnèrent lieu à l’un des plus grands rassemblements populaires de l’histoire du Vatican. À ce moment-là, personne n’imaginait que ce grand pape deviendrait, quelques années plus tard, un extraordinaire sujet de polémique…
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