Un exemple de résistance spirituelle dans un camp de la mort

Victor Tiollier, séminariste

Alors que nous avons célébré en juin dernier le 70e anniversaire de la Libération de la France, nous pouvons faire mémoire de ceux qui, dans les camps de déportés, ont témoigné de leur foi, après avoir pris le risque d’entrer en Résistance. Le Journal tenu pendant huit mois par un jeune séminariste, Victor Tiollier sur de petits carnets entre le camp de Compiègne, où il fut interné après son arrestation à Lyon en 1944 et sa mort au camp de Neckarelz, en février 1945, est un de rares documents de ce genre qui nous soit parvenu. Il peut être consulté dans son intégralité sur un site qui vient de lui être dédié. Un témoignage qui intéressa aussi tous ceux qui se penchent sur la question Pie XII et plus généralement sur l’action des chrétiens pendant la Seconde guerre mondiale.

Né en janvier 1921, Victor Tiollier était né à Cruet, près de Montmélian (Savoie), où son père Albert, exploitait la vigne, dans le domaine de L’Idylle. Deux des frères de celui-ci étaient tombés pendant la Grande Guerre. La mère de Victor, Marie, était originaire de Pont-de-Beauvoisin (Savoie), où la famille était implantée depuis le XVIIIe siècle. Albert et Marie ont eu 6 enfants. Victor fait ses études au collège de La Villette à Chambéry (Savoie), qui fut à l’origine un petit séminaire, transféré près du chef-lieu de la Savoie en 1905, après les lois de séparation de l’Église et de l’État.

Victor Tiollier, séminariste

Il est imprégné dans sa jeunesse des valeurs du scoutisme. Après le baccalauréat, et les Chantiers de Jeunesse, il entre au séminaire de Chambéry. En 1943, sur le conseil de ses supérieurs, il se donne un temps de réflexion. Il entreprend alors des études de droit à Lyon. Il loge chez sa tante, Madame Jeanne Larchier, à Villeurbanne. Celle-ci héberge aussi deux autres étudiants, qui se trouvent être des agents du Réseau Gallia, un important réseau de Résistance : Paul Gentil et le cousin germain de celui-ci, Pierre Pittion-Rossillon. Ce dernier avait conseillé aux autres membres du réseau de se disperser en cas d’arrestation, car il n’était pas sûr de ne pas parler sous la torture. C’est pourquoi les deux jeunes résistants se cachent après avoir échappé à une perquisition de la Gestapo, en avril 1944.

Victor écrit alors à son père qu’il lui revient de reprendre le flambeau du « réseau » : « À un moment où tout était désorganisé et à refaire, j’ai cru et je crois encore qu’il était de mon devoir de ‘faire la relève’. On ne peut rester indifférent en face de certains actes, en face de certains procédés, en face de certaines gens. Trop de Français parlent, parlent… et ne font rien. J’ai été trop longtemps de ceux-là. »

Victor n’a pas le temps de beaucoup agir. Il est arrêté à Lyon le 19 mai 1944, alors qu’il relève une boîte aux lettres clandestine, rue Sainte-Catherine. Interrogé le lendemain, au 13 rue de la Fouaillerie, en pleine nuit, puis dans une cave d’une maison de la Gestapo, avenue Berthelot (ancienne École de Santé Militaire), il subit le supplice de la baignoire, mais ne parle pas. Menotté, il est emprisonné à Montluc (qui avait été la prison de Jean Moulin), où il restera quatre semaines.

Le 19 juin un train l’emmène, avec d’autres résistants, au camp de Compiègne-Royallieu (Oise.) Il est ensuite transféré à Dachau où il arrive le 5 juillet 1944. De ce convoi éprouvant, qui sera connu comme « le train de la mort », il réussit à lancer, alors qu’il est encore en France, un mot pour ses parents , qui le recevront. De Dachau il est bientôt transféré à Neckarelz, camp annexe du KL Natzweiler, dans la vallée du Neckar.

Depuis le 28 juin, alors qu’il était encore à Compiègne, il a noté dans un petit carnet son parcours et ses impressions au jour le jour. Il continue à Neckarelz.

Victor Tiollier, séminariste

Jour après jour, en dépit d’un travail exténuant, il s’astreint à une discipline morale et spirituelle de tous les instants dont il consigne les difficultés dans ce journal, qu’il cache soigneusement dans un de ses sabots.

Les notes s’interrompent à la date du 19 janvier 1945 : trop faible pour écrire, Victor Tiollier meurt cinq semaines plus tard du typhus. Il avait confié son journal à un camarade.

Georges Villiers, ancien maire de Lyon, et futur président du C.N.P.F. (le Patronat français), qui avait été transféré de Compiègne par le même convoi que lui, et trois autres camarades se portent volontaires pour enterrer Victor dans le cimetière de Binau avec deux autres déportés. Ils prennent soin d’entourer sa cheville d’un ruban à son nom, afin que son corps puisse être reconnu plus tard.

Son cercueil est rapatrié après la guerre dans le caveau familial du cimetière de Cruet, où il repose auprès de sa mère, décédée en décembre 1944.

Le journal de Victor Tiollier, ramené par son camarade de déportation, s’est retrouvé entre les mains de Georges Villiers, qui l’a remis à son père en 1945.

Les deux carnets qui contiennent le journal de Victor Tiollier sont visibles dans une vitrine du Musée de la Résistance et de la Déportation de Lyon. Ils sont présentés comme un émouvant acte de résistance spirituelle dans un camp de la mort, à côté d’un chapelet et d’un petit crucifix confectionnés de façon artisnale dans d’autres camps.

En 1954, Albert Tiollier, recevra la Légion d’honneur à Chambéry, au nom de son fils Victor. Une plaque au nom de Victor Tiollier a été apposée après la Guerre au grand séminaire de Chambéry. L’archevêque de cette ville, Mgr Laurent Ulrich, en a inauguré une autre le 25 février 1945, jour anniversaire de son décès à Neckarelz. Il s’est ensuite rendu sur sa tombe, au cimetière de Cruet.

Victor rejoignait d’autres chrétiens, eux aussi disparus dans des camps, tel Pierre de Porcaro, prêtre de Saint-Germain-en-Laye, mort lui aussi du typhus, à Dachau, le 12 mars 1945 (868 prêtres, de plusieurs nationalités, sont décédés rien qu’à Dachau).

Une entrée au séminaire. Puis une sortie. Y serait-il revenu ? Nul ne le sait. Dans la vie d’un homme, des portes s’ouvrent ou se ferment, et, comme l’a dit Malraux, la mort finit par faire de tout cela cela un destin.

Victor ignorait qu’après son entrée en résistance, après l’épreuve atroce de la prison, de la torture et de la déportation, il avait rendez-vous avec Quelqu’un.

 

EXTRAITS DU JOURNAL DE VICTOR TIOLLIER

COMPIÈGNE-DACHAU

Séjour à Compiègne : 19 Juin – 1er Juillet
Chambre 4. Installation avec Giuseppe, sous-chef de chambre, comme second de Mr Villiers. Ravitaillement assez dur : 1 soupe et 1/3 de boule (ou 1/4 avec beurre ou fromage) 2 soupes le jeudi et le dimanche.
Camp C à cause de cas de diphtérie
Vain espoir de manquer le prochain départ
Organisation de la chambre. Bonne équipe, sympathique malgré les disputes fréquentes.
Conférence du Général Camille.
Equipe de Savoyards.
Messe quotidienne de l’abbé Gontandin. Dernière messe de Juillet avant le voyage tragique
[…]

2-5 Juillet. Voyage : Compiègne – Dachau
Départ du camp à 5h du matin, sous la pluie avec une boule et du saucisson, encadrés comme des bandits. Long stationnement : essai de groupement en vue de fuite.
100 dans un grand wagon à bestiaux (60) avec deux fenêtres ouvertes à moitié Chaleur torride dès le début.
Tous debout : impossibilité de tous s’asseoir… Tonneau d’eau, 2 tinettes
En route vers Soissons : essai de tous s’asseoir : compression intolérable. Chalons sur Marne vers midi. La chaleur devient étouffante. Vers 3h avant d’arrivée à Reims : situation tragique, on tombe dans les pommes, assaut de la fenêtre, on implore de l’eau et de l’air. A l’arrêt : eau. On ouvre les deux autres fenêtres.
Dans le reste du train la situation est tragique. Refus des S.S. d’ouvrir les wagons : les gens deviennent fous et se battent entre eux, s’écrasent, s’étouffent. Dans notre wagon situation très dure jusque vers 10h du soir. Dans les autres wagons innombrables : 36, 45, 75 ,97 (bataille à coups de couteaux et bouteilles)
Vers 4h du matin, essai d’évasion : trous dans les wagons, cris et bruits : le train stoppe, les Allemands arrivent : menacent, A demain.
Réveil tragique dans les wagons de morts, Vitry, Metz-Sarrebourg.
Vers le Rhin, Haguenau – Carlsbad (Marseillaise en quittant la France). Jolie vallée puis forêt Noire, Karlsruhe.
Nouveau wagon : espoir de fuite par grilles du bas mais déconseillé parce qu’en Allemagne. Pauvreté de la Souabe.
Passage dans une gare de marchandises de Munich
Arrivée à Dachau, inquiétude. En réalité, le camp n’est plus terrible (10 à 20.000 h.)

[…]

Mercredi 5 Juillet

Arrivée à Dachau vers 3h : débarquement. En procession interminable vers le camp : froideur de la population. Cité S.S., à droite. Rassemblement sur la place du camp (1.600.) Appel nominatif (classé I sans importance Groupe Thierry, Villiers et moi. Déshabillage total dans le pré. J’abandonne mon beau costume.
Douche, tonsure et coups de pinceau ! Habillement : 1 caleçon 1 chemise et 1 veste (K.L.)

[…]

NECKARELZ
Samedi – Dimanche 30 – Incendie à la mine de l’huile : tête de nègre.
Meilleur sommeil. Volonté très nette d’aboutir, de briser la volonté, l’intelligence, par tous les moyens.
Pas de vie, de laisser-aller, de cafard mais un acte de- volonté personnel par jour.
Être le levain chrétien dans la pâte par la prière et la charité. Réagir, vouloir.

[…]

Vendredi 25 Août 1944 : Je porte sur moi la Ste Réserve toute la nuit et le lendemain sous mon oreiller (1ers chrétiens, Tarcissius) Le soir, confession, communion. Bonne nuit à la pompe (pas d’eau 6 français et le petit russe)
Pour la 1ère fois Mr Villiers est resté au camp pour faire les pluches. Ferventes prières à St-Louis pour la France qui est en train d’être libérée et nous sommes là. Toujours grosse chaleur : dans le pays, moisson et regain.

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