Le Vatican contre Hitler

Pie XII

Le Figaro Magazine écrit ici :

Il y a huit ans, Jean Sévillia, rédacteur en chef adjoint au « Figaro Magazine », publiait un essai appelé à devenir un best-seller : « Historiquement correct. Pour en finir avec le passé unique » (100 000 exemplaires vendus). Une dénonciation en bonne et due forme du « terrorisme intellectuel » et du prêt-à-penser sur les Croisades, les guerres de Religion, la Révolution, la décolonisation, etc. Constatant que, à l’école comme dans les médias, rien, depuis, n’a vraiment changé dans la manière de présenter l’histoire, l’écrivain-journaliste récidive cet automne avec « Historiquement incorrect » (1). Sur ce que l’Occident médiéval doit ou non aux Arabes, sur Galilée, l’Eglise et la science, sur le sentiment de culpabilité qu’entretient l’Europe vis-à-vis de l’aventure coloniale, sur notre perception contemporaine de la Première ou de la Seconde Guerre mondiale, sur l’immigration, Sévillia bouscule les idées reçues, balaye les clichés et restaure la vérité historique, chiffres et témoignages à l’appui, en se basant sur les meilleures sources et les travaux de recherche les plus récents.

Et le journal de donner trois extraits, dont un passage tiré du chapitre ‘Le Vatican contre Hitler’, que nous reproduisons ici, avant de vous en donner une recension :

Le Vatican contre Hitler

La photo a fait le tour du monde : on y voit Eugenio Pacelli descendre l’escalier d’un palais officiel, tapis rouge déroulé sous ses pieds. De part et d’autre, deux soldats présentent les armes, mais ce que l’on remarque, c’est leur casque, au premier coup d’œil semblable à celui des Allemands pendant la guerre. Ce cliché impose une idée : Pie XII était un homme à qui les nazis rendaient hommage. D’innombrables articles consacrés aux rapports de l’Eglise catholique avec l’Allemagne hitlérienne sont illustrés par cette image qui figurait aussi en couverture de Hitler’s Pope (Le Pape de Hitler), publié par le journaliste britannique John Cornwell. Reprenant à son compte l’accusation lancée en 1963 par Rolf Hochhuth dans sa pièce Le Vicaire, celui-ci concluait que le pape avait été complice des desseins criminels du national-socialisme. Seul problème : la photo a été prise en 1927. Cinq ans avant l’accession de Hitler au pouvoir et onze ans avant que le cardinal Pacelli devienne pape. Alors nonce auprès de la république de Weimar, ce dernier sort d’une réception organisée pour l’anniversaire du président Hindenburg, à laquelle il a été invité comme tous les membres du corps diplomatique, salués par des soldats portant le casque de la Reichswehr et non de la Wehrmacht… En 1929, il quittera Berlin pour Rome, pour ne plus jamais revenir en Allemagne. Comment faire mentir une image. (…)

Le 21 décembre 1936, sur ordre de Pie XI, le cardinal Pacelli convoque les trois cardinaux allemands, Mgr Bertram, Mgr Schulte et Mgr Faulhaber, et deux évêques, Mgr von Galen et Mgr von Preysing. Les cinq prélats se rendent discrètement à Rome, sans connaître l’objet de la convocation. Le 16 janvier 1937, ils ont une première entrevue avec le cardinal Pacelli. L’opinion des assistants est unanime : l’Eglise est menacée de disparition en Allemagne, et Hitler ne peut être disculpé de la politique menée par le parti national-socialiste. Le concordat n’est pas en cause, puisqu’il constitue une base de discussion avec l’Etat allemand, mais l’inefficience des protestations publiées jusque-là impose de recourir à une arme plus puissante. L’hypothèse d’une encyclique papale est alors évoquée avec faveur. Le 17 janvier, tous les protagonistes se retrouvent chez le pape. Le 18 janvier, Pacelli charge Faulhaber de rédiger un projet d’encyclique. L’archevêque de Munich travaille seul. Le 21 janvier, avant de quitter Rome, il confie son travail au secrétaire d’Etat. Dans les archives du Vatican, il existe quatre versions de l’encyclique : elles sont toutes annotées de la main de Pacelli.

La version définitive ne désigne pas nommément Hitler et le national-socialisme, mais le texte est sans équivoque. Ce document pontifical «sur la situation de l’Eglise catholique dans le Reich germanique» est rédigé en allemand. «C’est avec une vive inquiétude (en allemand : Mit brennender Sorge) et un étonnement croissant, est-il écrit, que nous suivons des yeux les douloureuses épreuves de l’Eglise et les vexations de plus en plus graves dont souffrent celles et ceux qui lui restent fidèles par le cœur et la conduite.» Face au développement d’une doctrine et d’une pratique politique inconciliables avec la foi chrétienne, le pape fait part de son angoisse : la divinisation de la race, le culte idolâtrique du peuple et de l’Etat sont contraires à l’ordre naturel. (…)

L’encyclique est signée à Rome le 14 mars 1937. Mais Pie XI exige qu’elle soit lue en Allemagne le dimanche des Rameaux, jour de grande affluence dans les églises, fête qui tombe cette année-là le 21 mars. En grand secret, le texte est porté à la nonciature de Berlin, puis de là communiqué à vingt-six destinataires qui sont chargés, dans tout le pays, de le faire imprimer ou de le reproduire à des milliers d’exemplaires. Chaque curé de paroisse se voit ensuite remettre le document, toujours clandestinement, avec pour consigne de le cacher et d’en faire la lecture en chaire au jour dit. C’est ainsi que, le 21 mars 1937, l’encyclique antinazie est lue dans toutes les églises d’Allemagne, sans que le pouvoir ait rien soupçonné. Il n’y a eu aucune fuite, ce qui constitue un indicateur sur les sentiments du clergé à l’égard du régime. (…)

Au printemps 1938, Hitler doit effectuer un voyage officiel à Rome. L’usage veut alors que les chefs d’Etat ou de gouvernement en voyage dans la Ville éternelle rendent visite à la fois à l’Etat italien et au Saint-Siège. Pie XI fait donc savoir qu’il est prêt à recevoir le chancelier allemand s’il en exprime la demande, mais à la condition qu’il prononce une parole publique désavouant la persécution de l’Eglise. Hitler ne s’étant pas manifesté, le pape quitte ostensiblement Rome pour sa résidence de Castel Gandolfo, et interdit au nonce et au clergé romain d’assister aux réceptions officielles.

Le 3 mai, jour de l’arrivée de Hitler, la Congrégation des séminaires et des universités rend publique une lettre signée de son secrétaire, le cardinal Ruffini, mais qui émane évidemment du pape. Si le document est daté du 13 avril, Pie XI a choisi de faire concorder sa publication avec la présence du fondateur du national-socialisme dans la capitale de l’Eglise. Il le dira quelques jours plus tard, le souverain pontife considère comme une insulte à la croix du Christ le déploiement dans la ville de drapeaux à croix gammée.

Le texte adressé aux directeurs des séminaires et aux recteurs des facultés de théologie et des universités catholiques du monde entier est une condamnation en huit points du racisme et du culte de l’Etat. (…) Une pensée antiraciste est bien développée à l’époque par le Vatican. (…)

(1) A retrouver dans Historiquement incorrect, Jean Sévillia, Fayard, octobre 2011 (cliquez ici pour l’acheter sur Amazon).

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