Pie XII : Communisme et fractures idéologiques expliquent la « légende noire »

Un entretien avec le directeur de L’Osservatore Romano, lui-même historien, par Zenit. Selon lui, la « légende noire » sur le pape Pie XII (Eugenio Pacelli), accusé de complicité avec le nazisme, a deux causes : la propagande communiste et les divisions récurrentes au sein de l’Eglise.

Giovanni Maria Vian expose ces causes de la « légende noire » dans une interview accordée à Zenit à l’occasion de la publication, sous sa direction, du livre intitulé « In difesa di Pio XII. Le ragioni della storia » (Pour défendre Pie XII. Les raisons de l’histoire), Venise, Marsilio, 2009, 168 pages, 13,00 euros).

Le livre a été présenté le 10 juin par le cardinal secrétaire d’Etat, Tarcisio Bertone, le président de Marsilio Editori, Cesare De Michelis (Université de Padoue), et par les historiens Giorgio Israel (Université de Roma La Sapienza), Paolo Mieli (Université de Milan), par deux fois directeur du « Corriere della sera », et Roberto Pertici (Université de Bergame).

Le directeur du quotidien du Vatican, historien, n’hésite pas à reprendre l’expression « légende noire » , car le pape Pacelli qui, à sa mort en 1958, avait été unanimement encensé pour l’œuvre qu’il avait accomplie pendant la Seconde guerre mondiale, fut ensuite véritablement « diabolisé ».

Comment une telle déformation de son image a-t-elle été possible, en quelques années, plus ou moins à partir de 1963 ?

Propagande communiste

Vian attribue cette campagne contre le pape en premier lieu à la propagande communiste qui s’est intensifiée à l’époque de la guerre froide.

Il fait remarquer que « la ligne adoptée dans les années de guerre par le pape et par le Saint-Siège, hostile aux totalitarismes mais traditionnellement neutre, se révéla en revanche, dans les faits, favorable à l’alliance contre Hitler, se caractérisant par un effort humanitaire sans précédent, qui a sauvé de très nombreuses vies humaines ».

« Cette ligne fut de toute façon anti-communiste, ce qui explique que, déjà durant la guerre, le pape était pointé du doigt par la propagande communiste comme complice du nazisme et de ses atrocités ».

L’historien considère que « même si Eugenio Pacelli a toujours été anti-communiste, il n’a jamais pensé que le nazisme pouvait être utile pour stopper le communisme, bien au contraire », et il en apporte la preuve en se fondant sur des faits historiques. Tout d’abord, « entre l’automne de 1939 et le printemps de 1940, dans les premiers mois de la guerre, le pape appuya la tentative de coup d’Etat contre le régime hitlérien fomenté par certains cercles militaires allemands en contact avec les Britanniques ».

Ensuite, affirme G.M. Vian, après l’attaque de l’Allemagne contre l’Union soviétique au milieu de l’année 1941, Pie XII refusa dans un premier temps l’alignement du Saint-Siège sur la « croisade » contre le communisme, comme elle était présentée, et ensuite il a beaucoup fait pour tempérer l’opposition de nombreux catholiques américains à l’alliance des Etats-Unis avec l’Union soviétique stalinienne.

La propagande soviétique, rappelle le spécialiste, a été efficacement reprise dans la pièce « Le Vicaire » (“Der Stellvertreter “) de Rolf Hochhuth, jouée pour la première fois à Berlin le 20 février 1963, et qui présentait le silence du pape comme de l’indifférence face à l’extermination des juifs.

Déjà alors, constate G. M. Vian, on a considéré que ce drame relance nombre des accusations portées par Mikhail Markovich Scheinmann dans son livre Der Vatican im Zweiten Weltkrieg (« Le Vatican dans la seconde guerre mondiale »), d’abord publié en russe par l’Institut historique de l’Académie soviétique des sciences, organe de propagande de l’idéologie communiste.

Et, nouvelle preuve de l’opposition de Pie XII au nazisme : le fait que les chefs du Troisième Reich aient considéré le pape comme un authentique ennemi, ainsi que l’attestent les documents des archives allemandes qui, non par hasard, avaient été fermées au public par l’Allemagne communiste et n’ont été que depuis peu rouvertes et étudiées, comme l’a souligné un article de Marco Ansaldo dans “la Repubblica” du 29 mars 2007.

Le livre édité par G. M. Vian reprend successivement un texte du journaliste et historien Paolo Mieli, un écrit posthume de Saul Israël, biologiste, médecin et écrivain juif, des articles de Andrea Riccardi, historien et fondateur de la Communauté de Sant’Egidio, des archevêques Rino Fisichella, président de l’Académie pontificale pour la vie, et de Gianfranco Ravasi, président du Conseil pontifical pour la culture, du cardinal Tarcisio Bertone, secrétaire d’Etat au Vatican et, enfin, l’homélie et les deux discours de Benoît XVI prononcés en mémoire de son prédécesseur Pie XII.

Division ecclésiale

Bien des gens ont contribué à ce discrédit de Pie XII, y compris au sein de l’Eglise catholique, en raison de la division entre progressistes et conservateurs, qui s’accentua pendant et après le Concile Vatican II, annoncé en 1959 et clos en 1965, affirme le directeur de L’Osservatore Romano. « Son successeur, Jean XXIII, Angelo Giuseppe Roncalli, fut très vite salué comme ‘le bon pape’ que, sans nuances, on opposait de plus en plus à son prédécesseur : en raison de son caractère et de son style radicalement différents, mais aussi de sa décision inattendue et retentissante de convoquer un concile ».

Les critiques catholiques contre le pape Pacelli avaient été précédées, dès 1939, des questions et accusations du philosophe catholique français Emmanuel Mounier, reprochant au pape son « silence » à propos de l’agression italienne en Albanie.

Pie XII fut, en outre, critiqué par des « cercles de Polonais en exil », qui lui reprochaient son silence face à l’occupation allemande. C’est ainsi que, lorsque la polarisation s’accrut dans l’Eglise à partir des années soixante, tous ceux qui s’opposaient aux conservateurs attaquaient Pie XII, considéré comme un symbole de ces derniers, alimentant ou utilisant des arguments repris de la « légende noire ».

Justice historique

Le directeur de « L’Osservatore Romano » souligne que ce livre n’est pas né de l’intention de prendre la défense a priori du pape, « car Pie XII n’a que faire d’apologistes qui n’aident pas à clarifier la question historique ».

En ce qui concerne les silences de Pie XII, non seulement sur la persécution des juifs (dénoncée sans bruit mais sans équivoque dans son message de Noël en 1942 et dans son allocution aux cardinaux du 2 juin 1943), mais aussi face aux autres crimes des nazis, l’historien souligne que cette ligne de conduite visait à ne pas aggraver la situation des victimes, tandis que le souverain Pontife se mobilisait pour les aider sur le terrain.

« Pacelli lui-même s’interrogea à plusieurs reprises sur son attitude. Ce fut donc un choix conscient et difficile que de chercher à sauver le plus grand nombre possible de vies humaines au lieu de dénoncer continuellement le mal avec le risque réel de provoquer des horreurs encore plus grandes », explique G. M. Vian. Dans son livre, Paolo Mieli, d’origine juive, affirme dans ce sens : « Prendre pour argent comptant les accusations contre Pacelli, c’est comme traîner sur le banc des coupables présumés, avec les mêmes chefs d’accusation, Roosevelt et Churchill, en les accusant de ne pas avoir parlé plus clairement des persécutions antisémites ».

Rappelant que des membres de sa famille sont morts dans l’Holocauste, Paolo Mieli a déclaré textuellement : « Je refuse d’imputer la mort des miens à une personne qui n’en est pas responsable ».

Le livre publie aussi un texte inédit de Saul Israel écrit en 1944 lorsque, avec d’autres juifs, il avait trouvé refuge dans le couvent de San Antonio, via Merulana, à Rome.

Son fils, Giorgio Israel, qui a participé à la présentation du livre, a ajouté : « Ce ne fut pas tel ou tel couvent ou le geste de compassion de quelques-uns, et personne ne peut penser que toute cette solidarité dont témoignèrent les églises et les couvents, ait pu avoir lieu à l’insu du pape, voire sans son consentement. La légende de Pie XII est la plus absurde de toutes celles qui circulent ».

Au-delà de la légende noire

G. M. Vian explique ensuite que le livre édité sous sa responsabilité n’a pas l’intention de se focaliser sur la légende noire, mais que, « un demi siècle après la mort de Pie XII (9 octobre 1958) et soixante ans après son élection (2 mars 1939), un nouveau consensus historiographique semble se dessiner sur l’importance historique de la figure et du pontificat de Eugenio Pacelli ».

L’objectif du livre est surtout de contribuer à restituer à l’histoire et à la mémoire des catholiques un pape et un pontificat d’une importance capitale sous maints aspects qui, dans l’opinion publique, sont encore éclipsés par la polémique suscitée par la « légende noire ».

Source : Zenit

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