Une nouvelle biographie de Pie XII

Les éditions Tempora proposent la traduction du livre d’Andrea Tornielli. A lire d’urgence !

Une grande nouvelle nous arrive des éditions Tempora ! La publication, cette semaine, du livre d’Andrea Tornielli, enfin traduit en français. Cette biographie, écrite par un des meilleurs vaticanistes actuels, journaliste au quotidien italien Il Giornale, est devenue une référence dans la « question Pie XII ».

C’est pour nous l’occasion de revenir sur ce livre qui donna lieu à un compte-rendu de notre part, lors de sa sortie en Italie, au printemps 2007 (voir le blog du 7 novembre 2007).

S’appuyant sur de nombreuses archives, notamment privées et inédites (l’auteur a eu accès aux archives privées de la famille Pacelli), mais aussi sur les discours et encycliques du pape, Tornielli met en pièces la thèse du pape pronazi et antisémite. Le livre s’avère extraordinairement riche et étudie plusieurs domaines de la vie de Pie XII. Tornielli décrit avec minutie l’enfance du futur pontife, son milieu, l’affirmation de sa vocation, ses études brillantes dans les lycées et universités publiques (et guère cléricales) de la Rome des Savoie, et son ascension, sous la protection du cardinal Gasparri, à l’époque des papes « prisonniers » au Vatican. On suit Pacelli dans ses succès mais aussi dans ses doutes sur sa propre carrière, tenté par la pastorale et le service des âmes plutôt que par la diplomatie pontificale dont il devient vite un des meilleurs éléments.

La période de la nonciature en Allemagne (1917-1929) est cruciale pour comprendre le futur Pie XII. Il y découvre la faiblesse de la diplomatie pontificale dans une guerre mondiale et le rejet qu’elle suscite chez les belligérants. La crise révolutionnaire de 1918-1919 le marque en profondeur et consolide son anticommunisme. Et il se lie d’amitié avec des hommes d’Eglise allemands appelés à devenir les évêques les plus antinazis : Faulhaber, von Preysing et von Galen. Et, dès l’épisode des corps francs, il manifeste une hostilité profonde au nationalisme exacerbé, puis au national-socialisme dont il suit la montée. Il prend immédiatement conscience de son contenu antichrétien et des dangers qu’il représente pour l’Eglise et le catholicisme.

Devenu secrétaire d’Etat du Vatican en 1930, il devient le plus proche collaborateur de Pie XI. Leurs caractères sont certes très différents – le pape impulsif et coléreux et le secrétaire d’Etat diplomate – mais Tornielli montre la profonde communauté d’esprit qui les unit. Sur l’analyse du danger fasciste, et surtout national-socialiste, les deux hommes s’entendent parfaitement. On lira avec un grand intérêt le chapitre consacré aux soixante-dix notes de protestations envoyées au Reich par Pacelli pour dénoncer les persécutions anticatholiques et les violations du concordat signé en juillet 1933. Pie XI et Pacelli ont parfaitement conscience du caractère antichrétien des nazis et de la nature totalitaire du régime, avec tout ce que cela implique de menaces pour les catholiques allemands, l’Eglise et ses diverses institutions. C’est en conscience qu’ils ont négocié et signé le concordat afin de disposer d’un instrument juridique pour protéger les catholiques allemands et dénoncer les persécutions. On suit le rôle majeur joué par Pacelli dans la rédaction et le durcissement du contenu de Mit brennender Sorge, condamnation du national-socialisme écrite avec l’aide de l’évêque de Munich Faulhaber (14 mars 1938). On apprend ainsi que l’encyclique publiée quelques jours plus tard (19 mars), Divini Redemptoris, qui condamne le communisme, est davantage le fruit des travaux du Saint Office, et non directement de Pacelli. Celui-ci, conclut Tornielli, « n’est donc pas l’inspirateur de l’encyclique anticommuniste de Pie XI. Alors qu’il est le grand coordonnateur de la préparation de Mit brennender Sorge ». Quant à « l’encyclique cachée » sur l’antisémitisme, les documents préparatoires du Saint Office analysés par Tornielli montrent que, si elle condamne bien les aspects raciaux du rejet des Juifs, elle « reprend le traditionnel antijudaïsme religieux du christianisme ». Les effets auraient été antithétiques à celui recherché.

La masse de documents cités par Tornielli ne laisse absolument aucun doute sur l’hostilité profonde de Pacelli à l’égard du nazisme, et sur sa pleine conscience de ses dangers. C’est donc un grand opposant à l’Allemagne hitlérienne qui devient pape en 1939. Berlin d’ailleurs ne s’y trompe pas. La presse nazie se déchaîne contre le nouvel élu et aucun représentant allemand, autre que l’ambassadeur, ne se trouve au Vatican pour son couronnement. Curieux pour un pape supposé ouvert aux idées venues d’Allemagne…

Incontestablement, devenu pape, Pacelli désire obtenir un accommodement avec Hitler, ouvre une politique moins conflictuelle que celle de Pie XI à la fin de sa vie, opte pour une détente. En réalité, Tornielli aurait dû plus insister qu’il ne le fait, pour expliquer cette politique, sur les oscillations de la politique vaticane à l’égard d’Hitler, qui passe par des phases successives, de discussions à l’époque du concordat, puis de confrontation à l’époque de l’encyclique. Pie XII reprend en fait la politique de discussion pour sauver le concordat, pour ne pas faire apparaître le Vatican comme le responsable de la rupture qui, inévitablement, ouvrirait la voie aux persécutions anticatholiques, pour tenter une dernière fois de sauver ce qui peut l’être. On entre alors dans la question des « silences ».

Qu’il n’y ait plus de déclarations fracassantes, de condamnations nettes de la guerre d’Hitler, c’est un fait. Mais Pie XII ne s’est pas tu. A travers certains de ses discours, il condamne les atrocités allemandes, en Pologne et ailleurs, ce que Tornielli appelle les « radio messages subversifs ». Le plus célèbre est celui de Noël 1942 présenté par un tribunal militaire allemand comme un « document subversif et démoralisant. » Cela est-il suffisant ? Pendant la guerre, Pie XII a le sentiment d’avoir dénoncé. Mais il ne veut pas remettre en cause la neutralité de l’Etat du Vatican. Il ne bénit ni l’invasion de l’Union Soviétique, ni la Grande Alliance.

Pacelli est-il antisémite ? Hostile au judaïsme ? Ni l’un ni l’autre. Non seulement il n’existe aucun écrit d’où transpirerait le moindre sentiment d’animosité, mais les documents prouvent au contraire sa bienveillance éprouvée et manifestée à l’égard du peuple juif. Le livre en fait la démonstration rigoureuse. Et c’est un des éléments qui l’éloigne de toute sympathie pour le nazisme. Comme secrétaire d’Etat, puis comme pape, Pacelli a parfaitement conscience que l’antisémitisme des nazis est indissociable de l’antichristianisme, et que les haines et les persécutions contre les juifs ne sont que le prologue à des persécutions antichrétiennes. Tornielli revient, avec raison, sur l’épisode particulièrement révélateur de la déportation des juifs de Hollande en 1942. Pie XII est absolument persuadé qu’une protestation publique engendrerait des effets néfastes, attiserait la haine des nazis, les jetterait sur les catholiques qui protègent et aident les juifs persécutés. L’action souterraine s’avère bien plus payante comme le prouve l’action papale dans la Rome occupée par les Allemands, et lors des rafles d’octobre 1943. Les pages de Tornielli regorgent de documents, de témoignages (souvent de juifs rescapés) prouvant l’efficacité de l’action souterraine du pape qui, à travers un article de l’Osservatore Romano du 25-26 octobre 1943, lance un appel à la charité dont le sens n’échappe à personne. De même, il soutient, sans aucune ambiguïté, l’action de résistance des évêques allemands les plus antinazis face aux atrocités du régime.

La biographie ne s’arrête pas en 1945 et poursuit l’étude – là aussi novatrice – sur les années de la Guerre froide, sur les encycliques des années 50, sur les liens avec la politique interne de l’Italie et enfin sur la maladie et la mort du Souverain Pontife.

Avec ce livre, la thèse du pape d’Hitler, et même celle du pontife faible et timoré, peu sensible au sort des juifs, tombe en lambeaux. On ne peut donc que se féliciter de l’arrivée de cette étude en France grâce aux éditions Tempora.

Andrea Tornielli, Pie XII, Paris, Editions Tempora, Editions du Jubilé, 2009, 812 pages, 32 euros. Traduction Isabelle Rey-Herme.

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2 réflexions sur « Une nouvelle biographie de Pie XII »

  1. Fafa

    Je m’interesse plus à l’oeuvre de PieXII au niveau de la mission. Je prépare un travail sur la réception de l’encyclique Fidei Donum en Afrique. Le manque de documents qui retracent l’historique de l’encyclique est ma plus grande difficulté

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