Hitler et le Vatican

Le livre de Peter Godman analyse la politique du Vatican à l’égard du national-socialisme, sous Pie XI.

Ceux qui attendent tout des archives du Vatican ne seront pas déçus par le livre de Peter Godman, Hitler et le Vatican. Cet historien a en effet profité de l’ouverture des archives du pontificat de Pie XI pour écrire son livre. D’emblée, il attaque les polémistes, Goldhagen et autres Cornwell, plus attachés à dénoncer qu’à analyser, à attaquer qu’à expliquer, ainsi que leurs conclusions grotesques. Le décor est planté. Nous allons lire un livre d’historien. Et c’est le cas.

D’une lecture aisée, l’ouvrage reste fidèle aux méthodes de l’analyse historique, par un travail à partir des sources archivistiques référenciées. Il constitue une réflexion argumentée sur les débats qui ont agité le Saint-Siège, pendant les années Trente, à propos de la meilleure position à avoir face à l’Allemagne hitlérienne. Il en ressort une image particulière de la structure vaticane, très divisée entre ses différents services, mais dans laquelle le pape, quoi que semble en penser P. Godman, reste le décideur principal.

La thèse de Godman est la suivante : Pie XI, secondé par Mgr Pacelli, a opté pour une confrontation réduite et une condamnation atténuée du national-socialisme, dans le cadre précis et rigoureux du concordat de 1933 ; stratégie réduite par Godman à un « silence », préfigurateur de celui de Pie XII.

Les adversaires de Pie XII ne trouveront, dans cette étude, aucune pièce, aucune analyse qui conforterait l’absurdité de leurs thèses. Bien contraire, elle est une remise en cause – archives à l’appui – de la thèse du pape d’Hitler qui colle à Pie XII. Bien au contraire, l’hostilité de Mgr Pacelli au national-socialisme est très bien décrite. « Prophète d’un ordre mondial centré sur Rome », il apparaît comme un fin connaisseur du nazisme. Ce loyal serviteur de Pie XI et de l’Eglise, exécuteur consciencieux des ordres d’un pape autoritaire, ne se fait aucune allusion sur les chances de voir Hitler et son gouvernement s’amender avec le temps. Pas la moindre trace non plus d’antisémitisme. Très intéressante est la catégorie dans laquelle P. Godman place Pacelli, celle des opportunistes, mais au sens noble du terme. Autrement dit, il le décrit comme un réaliste qui pèse chacune de ses décisions et entend agir au bon moment.

Deux autres personnages, absolument incontournables mais pourtant méconnus, apparaissent en pleine lumière : Mgr Orsenigo et Mgr Hudal. Le premier est le successeur de Pacelli à la tête de la nonciature de Berlin. Hostile à toute rupture et au moindre éclat, tout ayant conscience du caractère criminel du régime qui le répugne, le nonce recherche constamment des compromis et des terrains d’entente, et ne semble décidément pas être l’homme adéquat.

Le second, Mgr Hudal, est le recteur de l’église Santa Maria dell’Anima à Rome. Cet Allemand, nationaliste convaincu, occupe une place centrale dans le livre. Ambitieux et désireux de jouer un rôle à la mesure des capacités dont il se croit investi, il développe toute une théorie afin de rapprocher le Vatican du III° Reich. Selon lui, seule une partie du national-socialisme, la plus à gauche, est hostile à l’Eglise et au christianisme. Il faut donc s’appuyer sur l’aile conservatrice afin de maintenir Hitler dans des dispositions que Mgr Hudal et d’autres au Vatican croient bonnes. Il retient de Mein Kampf ce qu’il lui convient et voit une convergence possible entre le christianisme et le nazisme, notamment autour de la question sociale. Ainsi espère-t-il constituer une alliance contre le communisme et même amener les nazis à se « christianiser » (remarquons que ce sont les mêmes arguments utilisés par les progressistes pour justifier la collaboration avec les communistes). Le fondement idéologique et théologique de cette thèse et les efforts déployés par Mgr Hudal, sont décrits avec minutie par P. Godman.

L’essentiel réside dans la conclusion que tire P. Godman de toute cette affaire, fort bien décrite et analysée : le prélat antisémite favorable à une alliance avec les nazis est Mgr Hudal, et non pas Mgr Pacelli. D’ailleurs, le second joue un rôle non négligeable dans la mise à l’écart du premier, et P. Godman n’hésite pas à voir dans un Hudal plein de rancœur une des sources à laquelle Hochhut s’est alimenté pour écrire sa pièce mensongère.

L’autre versant du livre s’intéresse aux travaux visant à la condamnation du nazisme. C’est une partie détaillée et novatrice.

Deux jésuites Franz Hürth et Johannes Rabeneck fournissent un travail complet et virulent de dénonciation du national-socialisme et du totalitarisme, sous la forme de 14 Points ou erreurs, une sorte de Syllabus. Il forme, selon Godman, « le rapport le plus complet encore jamais soumis au Vatican sur la menace que représentait le nazisme, pour l’Eglise en particulier et pour le christianisme en général. » (p.107) Le travail est remis au Saint-Office en mars 1935. Cette institution s’attèle à son tour à une œuvre de condamnation mais qui serait cette fois-ci bicéphale : nazisme et communisme y seraient ensemble condamnés. La question de l’antisémitisme est traitée par le Saint-Office au nom de l’unité du genre humain. P. Godman, pour des raisons qui manquent de clarté, regrette cette convergence entre les deux idéologies, en sous-estimant complètement la puissance du communisme au milieu de l’année 1936, les effets de la guerre d’Espagne sur la bipolarisation de l’Europe et la peur légitime que cette idéologie provoque dans de larges secteurs de l’opinion publique. Pie XI finit par adopter une stratégie différente de celle du Saint-Office et des jésuites, stratégie qui apparaît clairement au cours des entretiens, fort bien décrits, entre le pape et les évêques allemands au Vatican en janvier 1937. Le Souverain Pontife décide que la protestation se fera par une encyclique qui ne mettra pas en danger le concordat de 1933. Il abandonne l’idée de la publication d’un catalogue d’erreurs.

L’analyse de P. Godman est précise, argumentée et solide. Le problème se situe au niveau des conclusions qu’il tire.

Selon lui, la stratégie de Pie XI n’est pas la bonne. Il consacre des pages extrêmement sévères à l’encyclique Mit brennender Sorge qualifiée de « compromis boiteux entre la préoccupation de la hiérarchie allemande et les inquiétudes de Rome » Il lui refuse même le qualificatif de condamnation ! En un mot, c’est un recul par rapport à ce que le Saint-Siège aurait pu faire avec les travaux du Saint-Office. P. Godman regrette l’abandon de l’offensive ouverte et considère que la reprise du catalogue du Saint-Office aurait été une bien meilleure solution. L’auteur révise aussi l’idée que les dernières années du pontificat du pape Ratti coïnciderait avec une radicalisation antifasciste. La volonté de maintenir les concordats, avec Berlin et Rome, reste supérieure à toute idée d’attaque frontale.

Finalement, ce silence de Pie XI explique celui de Pie XII. La permanence entre les deux pontificats apparaît avec clarté. On aurait simplement apprécié que P. Godman, dans son analyse du pontificat de Pie XII, fasse une référence au fait que l’éclatement de la guerre rend, aux yeux du pape, cette politique de prudence encore plus nécessaire, alors que le nombre de victimes potentielles du nazisme augmente avec les occupations. Ce silence de Godman sur le contexte est proprement sidérant.

Plusieurs points de sa démonstration mettent mal à l’aise. Après une analyse si fine des documents, si conforme à la méthode historique, que vient faire l’expression « une autruche la tête dans le sable », utilisée pour résumer la politique de Pie XI et de son secrétaire d’Etat ?

Pour P. Godman, Pie XI et Pacelli sont enfermés dans la défense du concordat de 1933. Leur volonté de le sauver, contre vents et marées, explique leur recul et le choix de l’encyclique. La thèse est convaincante et sans aucun doute conforme à leur pensée, mais cela ne justifie pas la posture quelque peu morale adoptée par l’auteur. Surtout, il semble oublier une évidence du monde des décideurs, auquel nous historiens n’appartenons pas mais que nous devons bien comprendre : ils n’ont pas le choix entre une bonne et une mauvaise solution, mais entre plusieurs mauvaises. Charge à eux de prendre la moins mauvaise. C’est ce qu’a fait Pie XI. P. Godman ne s’arrête pas sur les conséquences qu’aurait eu le choix du Syllabus. C’est normal. Personne ne les connaît. Ce qui est certain, c’est que Pie XI et Pacelli considèrent que le concordat, même systématiquement violé par les nazis, reste le meilleur moyen de protéger les catholiques allemands. Car c’est bien là le cœur du problème. Les évêques allemands n’ont peut-être pas l’étoffe de héros comme Godman l’écrit (p.247) mais ils ont entre leurs mains la vie de leurs fidèles. Il aurait fallu le préciser.

Ce livre confirme plusieurs points : l’absurdité de la thèse du pape d’Hitler, l’hostilité de l’Eglise en général et de Mgr Pacelli en particulier à l’égard du nazisme, l’absence d’antisémitisme chez ce dernier, la convergence entre Pie XI et son principal collaborateur, les divisions du Vatican sur la stratégie à adopter, la richesse des archives et la facilité avec laquelle nos contemporains expliquent à ceux qui ont vécu il y a 70 ans, dans une époque terrible, ce qu’ils auraient dû faire.

Peter Godman, Hitler et le Vatican, Paris, Perrin, 2010, 368 pages, 23 €

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3 réflexions sur « Hitler et le Vatican »

  1. lili

    Merci beaucoup, Monsieur, pour ce resume, qui me conforte dans les conclusions que j’avais tirees d’autres ouvrages sur cette sombre epoque,

    Salutations distinguees,

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  2. Philomène

    Pour rappel :
    …. »Lorsque après la mort du Pape Pie XII, Hochhuth mit en scène sa triste caricature, on dit que Mgr Hudal lui en aurait fourni le matériel adéquat. J’ignore si c’est vrai. Mais au départ de ce bruit il y a sans doute le fait que Hudal ne put jamais supporter que le Saint Père lui ait fait comprendre d’avoir à se démettre de son poste de recteur de l’Anima. Naturellement, Pie XII ne fit pas cela seulement de son propre mouvement, mais il y fut contraint par les plaintes constantes qu’il reçut de la part de cardinaux, d’évêques, et de prêtres et qu’il lui fallut, après une enquête minutieuse, considérer comme justifiées. Mgr Hudal ne put jamais surmonter cela. »

    Livre de Mère Pascalina LEHNERT – « Pie XII mon privilège fut de le servir » – page 146

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  3. Hieronymos

    Bonjour,

      La lecture de ce résumé encourage à lire ce livre avec un regard critique et distancié, comme tout bon lecteur. La thèse d'un Pape nazi est une absurdité, car il y a déjà une contradiction radicale et fondamentale entre les termes. Je pourrais renvoyer à la lecture de "Hitler m'a dit" de Hermann Rauschning (éd Hachette, coll. Pluriel) où il est possible de lire des déclarations franchement anti-judéochrétiennes d'Hitler lors de conversations privées... Par ailleurs, je voudrais attirer l'attention sur le fait qu'un autre éminent représentant d'une autre religion s'est clairement montré sympathisant du régime nazi. Je veux parler du grand Mufti de Jérusalem Hadj al-Amin Husseini qui se lia d'amitié avec Hitler, tout aussi désireux de se débarrasser des juifs qui commençaient à se réfugier en Israël. Voici quelques liens, tout d'abord un article de Wilipedia: [http://fr.wikipedia.org/wiki/Mohammed_Amin_al-Husseini;] Puis un autre article sur Sigrid Hunke qui participa, à sa façon, au rapprochement Islamonazi...[http://fr.wikipedia.org/wiki/Sigrid_Hunke] Comment ne pas voir dans le procès fait à Pie XII comme à l'Eglise catholique, une oeuvre de médisance et de calomnie qui en dit long sur l'anti-christianisme de notre époque?Que de partialité! Que d'ignorance! Que de négationnisme! Que de mensonges! Que d'accusations! Que de mépris et de haine! En somme quelle diablerie!!!!

    Merci pour votre engagement!!!
    Fraternellement dans le Christ!!!

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