Goebbels, les nazis et l’Eglise catholique

Le Journal de Goebbels contient des informations riches et précises sur la haine des nazis à l’encontre de l’Eglise catholique.

L’histoire, on le sait, est matière à interprétations diverses et souvent opposées. La « question » Pie XII en est la meilleure illustration. C’est pourquoi il est utile de revenir directement aux documents qui constituent les sources, autrement dit la matière première de l’historien.

Arrêtons-nous sur une source essentielle : le Journal de Goebbels. Les éditions Tallandier ont lancé une entreprise éditoriale remarquable de publication du journal intime tenu entre 1923 et 1945 par ce haut dirigeant nazi et proche de Hitler. Ce texte nous entraîne dans le premier cercle dirigeant nazi et nous apporte une multitude d’informations sur la pensée, non seulement de Goebbels, mais aussi de Hitler dont les propos sont rapportés. C’est un voyage au cœur du national-socialisme.

Le tome portant sur la période 1933-1939 ne concerne pas le pontificat de Pie XII (la publication du tome 4, 1939-1943 est imminente). Toutefois, il apporte un éclairage tout à fait intéressant sur les rapports entre les nationaux-socialistes et le catholicisme en Allemagne.

Le journal abonde en attaques violentes contre le christianisme et confirme le rejet viscéral des nazis pour cette religion. Goebbels, lui-même issu d’un milieu catholique, rapporte les tirades de Kraus, « qui ne fait pas mystère de sa répulsion pour l’imposture juive de l’Ancien Testament » (p.157), et lui-même avoue ne pas supporter les « âneries sur le Christ bienfaiteur de l’humanité » (p.684). Il n’hésite pas à approuver la haine que les républicains espagnols éprouvent à l’égard « des capitalistes, des propriétaires et des curés » (p.372). C’est bien évidemment le cœur du message chrétien que les nazis ne peuvent supporter, et notamment le respect absolu de la vie. Ainsi Goebbels approuve-t-il la stérilisation médicale des aliénés. Ses services de propagande travaillent, à la fin de 1936, à la réalisation d’un film tourné dans un asile pour justifier la loi. Il note alors : « Nos chères Eglises sont contre : elles ont besoin de nos idiots, partie pour faire des croyants, partie pour faire avec eux l’épreuve de leur amour du prochain. Redoutable confusion de l’esprit ! Mais nous allons passer outre. » (p. 353). Il est très intéressant de relever cette phrase, en date du 5 juin 1935 : « Je travaille fort et ferme contre les Juifs et les Jésuites. » Le christianisme reste, pour les nationaux-socialistes, une religion imprégnée de judaïsme, et l’Eglise catholique une hiérarchie supranationale échappant au contrôle de l’Etat. Le Vatican ne se trompe pas quand il considère, dès la montée du nazisme dans les années 1920, que son antisémitisme est consubstantiel à son antichristianisme.

Le thème le plus présent dans le journal est la lutte contre l’Eglise catholique menée par le régime. Les propos vénéneux contre les prêtres (racailles, curés insolents, bêtes) reviennent comme un leitmotiv. Mais ce que le journal montre très bien, c’est le rôle de Goebbels et de sa propagande dans les procès intentés contre les ecclésiastiques. Deux accusations ressortent : le transfert illégal de devises à l’étranger et l’immoralité des prêtres homosexuels et pédophiles (« Le Führer pense que c’est une caractéristique de l’Eglise catholique » p.300). L’instrumentalisation politique de ces procès est évidente : le pouvoir veut décrédibiliser l’Eglise aux yeux de l’opinion publique allemande. Goebbels oriente délibérément la presse dans ce sens. A ses yeux, c’est l’indispensable et première étape dans la mise au pas de l’Eglise (p.415).

Les confidences de Hitler à son ministre de la propagande nous permettent en outre de bien connaître ses desseins. Le Journal s’avère là aussi précieux car le Führer prend grand soin, depuis 1933, de rassurer l’Eglise par des propos publics bienveillants. La teneur de ses propos privés est toute autre. Le 23 février 1937, il développe son dessein devant Goebbels : briser la force politique d’opposition que représente encore les catholiques, séparer l’Eglise et de l’Etat et dénoncer le concordat. Sa position se radicalise après la publication de Mit brennender sorge. Il parle de dissolution des ordres religieux, d’interdiction d’enseignement, de spoliation des biens ecclésiastiques. En un mot, le pouvoir nazi vise à briser l’influence de l’Eglise sur les Allemands et à limiter au maximum sa pastorale parce qu’un Etat totalitaire ne peut tolérer l’existence d’une institution échappant à son contrôle. « Il faut parler allemand à ces curés, écrit Goebbels le 18 février 1937. Ils doivent se courber sous le joug de l’Etat. »(p.391). Le sort de l’Eglise est fixé : « Nous voulons la liquider » (p.387).

Pour autant, le Journal confirme une certaine prudence de la part du pouvoir nazi. En effet, la lutte anti-catholique « se limite » aux procès et aux campagnes de presse. L’Eglise ne subit pas une persécution comparable à celle qui tombe sur les juifs allemands, et ce dès 1933. La stratégie de Hitler est une succession d’offensives et de pauses tactiques, en lien avec la situation interne ou externe de l’Allemagne. Le combat reprend avec la publication de l’encyclique de mars 1937. Puis, à la fin de l’année 1937, Hitler « veut pour l’instant la paix » et il limite les initiatives anticléricales. Mais, à chaque fois, Goebbels, toujours d’accord avec le Führer, prend grand soin de noter que l’apaisement n’est que temporaire. C’est la raison pour laquelle il accueille avec faveur l’ouverture effectuée par Pie XII, en août 1939. En effet, une fois monté sur le trône de Saint Pierre, le nouveau pontife tente d’apaiser le conflit en revenant à l’esprit du concordat – document juridique de protection des catholiques – et ainsi forcer les nazis à le respecter, pour sauver ce qui peut l’être encore. Il désire reprendre les fils du dialogue car il ne croit pas aux vertus de la rupture. « Nous voulons voir, faire une tentative. Si eux veulent la guerre nous ne la craignons pas. »(1) Il bénéficie du soutien de l’archevêque Faulhaber et des autres cardinaux allemands sur cette politique. Hitler accepte l’idée d’un apaisement car, comme le note Goebbels, « nous ne pouvons nous permettre en ce moment un conflit avec l’Eglise » (p.707). Tout est affaire de circonstances. La poursuite des persécutions contre l’Eglise catholique est remise à plus tard, une fois la guerre gagnée et la suprématie allemande installée sur l’Europe.

(1) Alessandro Duce, La Santa Sede e la question ebraica (1933-1945), Roma, Edizioni Studium, 2006, p.87-89.

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