Un courant historique très minoritaire…

Comment s’est fondée le courant historique contre Pie XII ? Eléments de réponse…

Pie XII

¤ Fondements historiques de la critique

Les critiques sur Pie XII tiennent souvent à des sources très précises et sélectionnées. Les correspondances diplomatiques de Pie XII avec von Weiszäcker, représentant du Reich, et sir Percy d’Arcy, sont souvent citées, comme preuve de l’impartialité du pape et donc de son silence face aux persécutions envers les Juifs. Or ces sources sont intéressantes que si elles sont comprises dans le cadre général de la guerre et si elles sont étudiées parmi toutes les autres sources à disposition aujourd’hui. Pour ne prendre qu’un exemple : il ne faut pas prendre dans un sens littéral tout ce que peut écrire un von Weiszäcker qui cherchera à donner l’image d’un pape germanophile pour empêcher la rupture totale des relations diplomatiques, pour tempérer les colères de Hitler et empêcher que ce dernier ne se décide à un coup de force contre le Vatican. L’on sait d’ailleurs, grâce aux procès de Nuremberg, qu’au moins un de ses rapports a été complètement falsifié, celui concernant la rafle juive des 15-16 octobre 1943, dans lequel von Weiszäcker écrit : « Le pape ne s’était pas laissé pousser à une déclaration démonstrative contre la déportation des juifs de Rome Il a tout fait pour ne pas rendre difficiles les relations avec le gouvernement allemand et les autorités allemandes à Rome. » Comme nous l’avons vu dans notre étude, cette affirmation est très loin de la réalité.

De même, il existe des documents de diplomates français qui accusent le pape d’être pro-nazi. Mais il suffit de s’approcher des auteurs des rapports et autres notes pour comprendre que ces diplomates sont pour la plupart proches des milieux très nationalistes, recrutant autant parmi les anti-cléricaux que l’Action française. Leurs documents ne sont pas sans intérêt, non en tant qu’ils révèlent des informations sur Pie XII, mais parce qu’ils soulignent l’attitude des nationalistes à cette époque. Ces derniers vont reprocher à Pie XII d’être favorable à l’Allemagne sous prétexte qu’en 1917, quand il était encore jeune prélat, il avait tenté d’instaurer avec Benoît XV une paix de compromis alors même que l’entrée en guerre des Américains annonçaient une victoire proche.

¤ Quelques exemples d’historiens…

Mais il se trouve des historiens pour continuer de prendre au sens littéral la thèse selon laquelle Pie XII aurait été tantôt germanophile aveugle, tantôt anti-bolchevique acharné, tantôt antisémite notoire, etc. C’est la position d’un courant historique initié par Guenter Lewy et Saül Friedländer, qui ont tous les deux publié un ouvrage dans les années 60.

La personnalité et l’ouvrage de Saül Friedländer sont particulièrement intéressants. (1) Ses parents moururent à Auschwitz ; lui fut recueilli dans un monastère catholique français où il survécut. Né en 1932, il traversa la Seconde Guerre mondiale comme un enfant. Il se tourna très tôt vers l’Histoire, et s’intéressa tout de suite à la période nazie, pour des raisons que l’ont peut comprendre sans peine. Historien rigoureux, il écrivit notamment sa thèse sur la diplomatie du IIIe Reich. C’est dans ce cadre qu’il tombe sur des documents incriminant Pie XII, et notamment la série de rapports rédigés par von Weiszäcker. Dans son ouvrage, il s’appuie presque exclusivement sur ces rapports écrits au cours de la guerre par les ambassadeurs allemands, rapports falsifiés pour les raisons énoncées précédemment. Alors, manque d’honnêteté de la part de Saul Friedländer ? Conclure aussi vite serait oublier que ce n’est qu’à partir de 1967 que commenceront à être publiés les actes diplomatiques du Saint-Siège pendant la guerre et qu’en conséquence, les sources étaient à l’époque considérablement limitées.

L’ouvrage de Guenter Lewy reprend essentiellement les archives allemandes déjà évoquées. (2) Il s’interroge particulièrement sur la portée des soi disant silences de Pie XII et avoue qu’une protestation publique aurait eu des conséquences néfastes pour les Juifs et les catholiques. Il invoque néanmoins la dimension éthique pour reprocher à Pie XII d’avoir gardé le silence, quand bien même le pire serait survenu ensuite.

Il faut également citer les ouvrages de Carlo Falconi, The Silence of Pius XII (1965), de Robert Katz et de Walter Laqueur (Le Terrifiant secret en 1980).

C’est d’ailleurs bien des Etats-Unis que viendront les principales critiques. C’est là-bas que le courant historique s’affirmera, ne trouvant que très peu d’échos ailleurs, si ce n’est dans les médias : James Carroll, Gary Wills, Susan Zuccotti, Michael Phayer, David Kertzer, Daniel Jonah Goldhagen…

Ce courant historique ultra minoritaire se retrouve en France, sous les traits de l’historienne Annie Lacroix-Riz qui a publié un long article sur l’antisémitisme de Pie XII – et de l’Eglise tout entière – dans le Monde diplomatique, article repris aussitôt par le Réseau Voltaire. (3) Annie Lacroix-Riz se fonde principalement sur les documents des diplomates français précédemment cités et fait étrangement l’impasse sur de – trop – nombreuses sources, notamment sur toutes celles du Vatican.

Mais ces historiens reviennent peu à peu sur leurs positions ou du moins ouvrent une porte, comme Susan Zuccotti qui a reconnu au début 2006 qu’il existait des preuves et des éléments sur les efforts de Pie XII envers les Juifs dont elle n’avait pas eu connaissance.


(1) Saul FRIEDLÄNDER, Pie XII et le IIIe Reich, Le Seuil, 1964
(2) Guenter LEWY, The Catholic Church and Nazi Germany, New-York, 1964
(3) Cet article est toujours disponible sur le Réseau Voltaire.

Et si on en parlait ensemble ? (Chat' anonyme et gratuit)

3 réflexions sur « Un courant historique très minoritaire… »

  1. luc perrin

    Ce courant historiographique est-il "très minoritaire" ? Votre article demanderait à être étoffé et, peut-être, à devenir une rubrique du site. Les dernières publications de Saul Friedländer montrent qu’il n’a rien oublié de ses accusations et de ses partis-pris de 1964 et rien appris des critiques que nombre d’historiens ont opposé à ses thèses. Pire il tend plutôt à se radicaliser et à se caricaturer lui-même, notamment dans ses 2 derniers livres. Il affirmait en 2007 : "Le rôle des élites sociales, en particulier chrétiennes, dans l’évolution d’ensemble de la situation me paraît plus important que je ne le croyais à l’époque où j’ai écrit mon Pie XII et le Troisième Reich." (interview à Le Monde, 6/01/2007).

    Je note que pour France-Culture, S. Friedländer est l’autorité incontestée sur la question du génocide des Juifs et de l’attitude des Eglises et des sociétés face au nazisme. Il est frappant que la quasi-totalité des media reprennent les thèses de Friedländer (énoncées dès 1964) et que l’on n’entend très rarement une contestation ou même de simples questions. Cette mauvaise vulgate s’est imposée et c’est aller vite en besogne que d’énoncer : "ces historiens reviennent peu à peu sur leurs positions ou du moins ouvrent une porte". L’actualité démontre qu’il n’en est rien en dehors de l’ex. cité.

    Il est significatif que le Mémorial Yad Vashem israélien ait voué une notice douteuse à la photo de Pie XII et la justification de son maintien, malgré la protestation puis la capitulation du Nonce apostolique en Israël en 2007, s’est faite au nom de l’histoire et de prétendues archives secrètes décisives mystérieusement conservées par le Vatican. Richard Prasquier écrit dans son blog à propos de cette affaire à la date du 16/04/2007 :

    "Mais la réalité est qu’il y a peu d’historiens sérieux qui suivent le père Blet. Depuis Saul Friedlander en 1966 à Suzanna Zuccotti ou Giovanni Miccoli, nombreux sont les historiens qui ont mis en évidence les "faiblesses" du comportement de Pie XII au cours de la guerre, lui qui avait été parmi les premiers à être prévenu de l’importance des massacres. A plusieurs reprises il avait refusé de prendre publiquement position malgré des objurgations diverses (notamment de représentants du gouvernement polonais en exil). Il n’a d’ailleurs pas pris position non plus sur les massacres de polonais catholiques: sa haine du communisme prédominait sur le reste…. Son discours du 24 décembre 1942 est une réponse bien limitée et bien filandreuse à la gravité des crimes nazis; aucune excommunication n’a jamais eu lieu contre les assassins." [rprasquier.blogspot.com/2…

    Or R. Prasquier est le président du C.R.I.F., il a été 7 ans en charge des rapports avec l’Eglise catholique et il était en 1997 président du Comité français pour Yad Vashem.

    Tous les poncifs anti-Pie XII se retrouvent dans son blog et une menace en conclusion si une éventuelle béatification du pape intervenait.

    Il n’est pas anodin, même avec une erreur de date, qu’il renvoie à "l’autorité" S. Friedländer et récuse, sans autre argument qu’ad hominem, les travaux du P. Blet s.j.

    Démonter méthodiquement la grille de lecture déformée de Saul Friedländer, fournir chaque fois les contre-arguments/autres analyses développés par les autres historiens serait une tâche utile dans cette rubrique à créer "débat historiographique".

    Sur Friedländer et la dimension personnelle d’animosité envers le catholicisme qui l’habite, voici ses réponses à une interview de Le Point (21/02/2008) :

    "- Le Point : M. Friedländer, pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez changé de
    prénom ?

    Saul Friedländer : Je suis né Pavel à Prague, en 1932, dans une famille juive
    qui parlait allemand. En 1939, ma famille s’est enfuie à Paris. Là, je suis
    devenu Paul, puis en 1942, quand on m’a caché dans une institution
    catholique, je me suis appelé Paul-Henri-Marie. Quand je suis arrivé en
    Israël, en 1948, on m’a demandé si j’avais un prénom hébreu. Elevé chez les
    catholiques, je savais que Saul, sur le chemin de Damas, était devenu Paul.
    J’ai pris le chemin inverse. Derrière mon prénom, il y a mon histoire.

    – Le nazisme a été un traumatisme pour votre famille et pourtant, vous avez
    consacré votre vie à son étude…

    S.F. J’ai refoulé cette période jusqu’en 1963. Mais j’ai découvert un document
    attestant que le pape, en décembre 1941, avait demandé à l’Opéra de Berlin de
    venir jouer des extraits de « Parsifal » dans ses appartements du Vatican.
    Cela m’a choqué. C’est alors que mon histoire personnelle a resurgi."

    Son réquisitoire contre Pie XII paraît, au Seuil éditeur alors catholique, l’année suivante.

    Bonjour Monsieur,
    Merci pour vos remarques et commentaires. L’article mériterait en effet d’être complété. Il s’agit ici d’un court chapitre de la non moins courte synthèse historique. Cette dernière a pour but de poser les fondements. Depuis et peu à peu, au fil des mois, nous enrichissons notre site avec des articles plus pointus et précis.
    Un article a été écrit sur l’ouvrage de Saul Friedlander, mais en raison de quelques difficultés informatiques, nous ne parvenons pas à le mettre en ligne. Ce sera chose faite d’ici peu.
    Cordialement,
    Pierre Gelin

    Répondre
  2. Rey

    Les actes et documents du saint siège ne sont pas des "sources", mais des sélections d’archives vaticanes effectuées par des prélats ultramontains, en vue de répondre-de façon peu convaincante à mon avis-aux accusations justifiées d’antisémitisme, de philogermanisme et enfin de philonazisme adressées à Eugenio Pacelli.

    Bonjour Monsieur,
    Nous sommes soufflés, il n’y a pas d’autres mots ! Nous pensions que ce genre de commentaires s’épuiserait avec le temps, mais il faut croire que non. Ah, quand la passion prend le pas sur l’historiographie !
    Revenez nous voir dès que vous aurez quelque preuve intéressante à apporter.
    Cordialement,
    Blandine Fissin

    Répondre
  3. Rey

    Fort étonné que vous ayez répondu à mon commentaire du 15 mai.Ne vous étonnez pas d’ être "soufflés" : les soufflés sont faits pour retomber.Les preuves intéressantes sont de trois types :les archives réunies, parfois au prix d’ un travail de bénédictin, par des historiens courageux (je pense surtout à Annie Lacroix-Riz, auteur de "Le Vatican, l’ Europe et le Reich"), celles systématiquement détruites, notamment à l’ approche des troupes alliées en Italie et celles que le Vatican conserve jalousement, en refusant même l’ accès à des chercheurs présentant toutes garanties idéologiques.Cordialement.

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *