Naissance d’une légende : “Le Vicaire” de Rolf Hochhuht

Comment est née cette « légende noire » ? Sur quels éléments repose-t-elle ? Comment a-t-elle perduré ?

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Il est communément admis que les critiques sur les éventuels silences de Pie XII sont nées avec la pièce de Rolf Hochhuht, le Vicaire. En réalité, ce n’est pas exact. Ultra minoritaires, quelques voix – communistes pour la plupart – ont tenté de remettre en cause ce que tout le monde savait être une évidence : le rôle bienfaiteur du pape Pie XII contre le nazisme, et en particulier pour les Juifs. Mais il est exact d’affirmer que c’est la pièce du dramaturge allemand qui lança internationalement la polémique en 1963, soit cinq ans après la mort du pape incriminé.

La pièce paraît à Berlin-Ouest le 20 février 1963. Elle est l’œuvre d’un tout jeune dramaturge – et non d’un historien, ce qui est souvent oublié – au piètre talent littéraire mais à l’intuition géniale. (1) Son talent de polémiste provoquera même la colère d’un Winston Churchill, coupable selon Rolf Hocchuht, dans sa pièce Les Guerriers, d’avoir fait assassiner son allié le général polonais Sikorski. Le dramaturge allemand fut condamné à cette occasion par la justice. Au total, Rolf Hochhuht publiera une trentaine de pièces, toutes sur le même modèle, mais aucune n’ayant le succès du Vicaire. Il subira sans cesse les foudres des historiens, ceux-ci l’accusant de falsifier l’histoire, à tel point qu’une accusation récurrente est portée contre Rolf Hocchuht : il serait sinon un agent russe infiltré, du moins un sympathisant au service de la Stasi. Les récentes déclarations du général Ion Pacepa accréditent cette thèse : « Ces révélations n’ajoutent rien à ce que le Saint-Siège sait déjà, confie le Père Gumpel, mais qu’elles sont utiles à ceux qui ont été jusqu’à penser ou même écrire que Pacelli a été “le pape Hitler”. On a maintenant d’autres documents qui prouvent combien de fausses accusations ont été lancées contre Pie XII. La responsabilité des soviétiques dans la campagne de calomnies contre la pape Pacelli est également évidente. » Il convient toutefois de ne pas juger trop hâtivement les révélations du général Pacepa, faute de preuves irréfutables.

Enfin, Hochhuht vient de se discréditer récemment, en louant les travaux de l’historien révisionniste et négationniste David Irving.

¤ Histoire

L’histoire est simple et connue de la plupart, puisqu’elle fut reprise par le cinéaste Costa-Gavras pour son film Amen que nous évoquerons dans un autre article.

Un officier SS, Kurt Gerstein, est horrifié par les atrocités commises dans les camps de concentration. Il rencontre le nonce Orsenigo qui refuse de l’écouter et de transmettre au pape les informations : telle est la scène 1 de l’acte premier. Kurt Gerstein se tourne alors vers un jeune jésuite, le père Riccardo Fontana, auprès de qui il trouve une oreille attentive. Ce dernier avertit alors – dans le quatrième acte 4 – Pie XII en lui demandant d’intervenir avec rigueur et force, ce que le pape refuse. Après avoir tout essayé, le père Fontana se glisse au milieu des Juifs. Il est arrêté par les nazis lors de la grande rafle à Rome, sous les fenêtres même du pape, et envoyé au camp d’Auschwitz.

¤ Une pièce à caractère historique ?

Comme le montre très bien Jacques Nobécourt, ancien journaliste du Monde et correspondant à Rome pendant dix ans, les différentes théories du Vicaire ont peu à peut été réduites à une seule, celle qui perdure encore aujourd’hui : c’est l’accusation portée contre Pie XII d’avoir gardé le silence face aux persécutions dont étaient victimes les Juifs. En réalité, la pièce de Rolf Hochhuht est plus complexe, complexité qui se devine par le titre allemand de la pièce : Der Stellvertreter, c’est-à-dire “le lieutenant”. Or le lieutenant peut tout autant désigner le pape que… n’importe quel protagoniste de la pièce. Tel est d’ailleurs l’intérêt de cette œuvre théâtrale : la possibilité d’interchanger dans cesse les personnages au sein d’un drame commun, à la fois individuel et collectif, intérieur et publique. L’enjeu premier de la pièce est le dévoilement d’un psychodrame, et non la révélation d’un passé historique trouble ; ce n’est que porté par la polémique qu’il tendra peu à peu à vouloir donner à sa pièce une façade de vérité sur une histoire falsifiée.

Il convient également de mentionner une série de faits inventés qui seraient sans importance si l’auteur ne prétendait pas dépasser la fiction pour tendre à la vérité historique. Tout d’abord, Kurt Gerstein n’a jamais rencontré le nonce de Berlin. L’entrevue entre l’officier allemand et Orsenigo est une pure invention.

Le pape est présenté dans la pièce comme un homme insensible, d’une grande dureté de cœur, hypocrite, avare, plus soucieux de ses intérêts économiques que du sort des Juifs, favorable à l’Allemagne contre le monde occidental. Ce portrait est évidemment dénoncé par tous les historiens et les journalistes, et même par les partisans de la légende noire. (4)

Enfin, le personnage clef de cette fiction théâtrale, le père Riccardo Fontana, est complètement inventé. Il n’y eut donc jamais de discussion entre ce prêtre et Pie XII, discussion qui est la clef de l’accusation portée contre le pape.

¤ Impact de cette pièce

Le principal impact de cette pièce est dans le déchaînement des passions qu’elle suscita, tant chez les partisans que les opposants, à tel point que le New-York Times la considère comme « l’œuvre ayant le plus fait sensation sur les scènes européennes depuis le Seconde Guerre mondiale ». La pièce est jouée dès décembre 1963 à Paris et l’année suivante à Londres, New-York, Bâle et Amsterdam. Le chancelier Adenauer tente de la faire interdire en vain. En Israël, la représentation prévue est interdite. En 1965, c’est au tour de Rome de censurer la pièce, suite à un attentat vraisemblablement provoqué par la police pour… empêcher la pièce. Ce n’est plus une simple œuvre théâtrale, mais le prétexte à un combat, entre catholiques et laïcistes.


(1) Rolf HOCHHUHT, Der Stellvertreter, Hambourg, 1963 ; Le Vicaire, trad. F. Martin et J. Amsler, Paris, Le Seuil, 1963.
(2) Entretien avec le Père Gumpel, le 2 avril 2007 (sources : ZENIT)
(3) Jacques NOBÉCOURT, Le Vicaire et l’histoire, Seuil, 1964 ; Articles « Le silence de Pie XII » et « Le Vatican dans la Seconde Guerre mondiale », in Dictionnaire de la papauté, dir. Philippe LEVILLAIN, Fayard, 1997
(4) John CORNWELL, Le pape et Hitler, Albin Michel, 1999, pp. 468-469

Et si on en parlait ensemble ? (Chat' anonyme et gratuit)

10 réflexions sur « Naissance d’une légende : “Le Vicaire” de Rolf Hochhuht »

  1. Thomas

    Vous parlez brièvement des déclaration de Pacepa (ancien officier communiste roumain passé à l’ouest). Je voudrais signaler que sont article qui décrit comment il a été impliqué dans l’organisation d’une campagne de désinformation visant Pie XII qui a abouti à la pièce de Hochhuht, peut se trouver en anglais ici :
    article.nationalreview.co…

    J’en propose une modeste traduction en français ici :
    meurgues.fr/spip/spip.php…

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  2. Qwyzyx

    Personne n’a relevé la démarche artistique ambitieuse et d’avant garde de Costa Gavras dans son film Amen qui, pour calomnier un pape, nous rend un SS sympathique. C’est assurément un film engagé. Même Léni Riefenstahl n’avait pas osé.

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  3. Bucéphale

    Costa gavras a mis en scéne un sinistre canular.Gerstein était un mythomane,sujet à des dépressions fréquentes(hypoglycémie grave provquant des états précomateux selon un docteur qui l’a bien connu et a écrit à sa veuve le 1°octobre 1957(voir Saul Friedländer,K.G ou l’ambigüité du bien,1967,p.152)

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  4. Bucéphale

    Costa gavras a mis en scéne un sinistre canular.Gerstein était un mythomane,sujet à des dépressions fréquentes(hypoglycémie grave provquant des états précomateux selon un docteur qui l’a bien connu et a écrit à sa veuve le 1°octobre 1957(voir Saul Friedländer,K.G ou l’ambigüité du bien,1967,p.152)

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  5. Coqueret

    Léon Poliakov a écrit dans sa postface au livre de Friedländer(p.200):"Les psychiatres auraient bien des choses à nous dire sur le cas de Kurt Gerstein".

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  6. Coqueret

    Bucéphale a raison.Léon Poliakov,lui même,a écrit dans sa post-face au livre de Friedländer(p.200):"les psychiâtres auraient bien des choses à nous dire sur le cas de Kurt Gerstein".

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  7. alain_13008

    Bonjour. En l’espèce il ne s’agit pas de psychiatrie mais d’histoire et d’archives. Comme chacun sait ici, les archives du Vatican ont été expurgées. or malgré cela, à leur consultation et croisement d’autres sources, correspondances privées et/ou officielles on constate que malheureusement, notre bon pape Pie XII n’a rien ignoré du sort qui fut réservé aux juifs d’europe.
    alors, il ne suffit pas d’insulter pour contredire valablement. une insulte ne fait pas un argument.

    il existe toute une quantité d’ouvrages très bien documentés, dont le fameux : Hitler’s Pope traduit en français sous le titre : Hitler et le Pape.

    pour ceux que cela peut intéresser je puis mettre à votre disposition un ensemble d’éléments propres à vous aider à vous documenter sur la question.

    cordialement

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  8. Vince

    Alain, vous dites avec raison qu’il s’agit d’histoire mais :
    1) vous lancez une affirmation parfaitement gratuite et sans fondement concernant les archives du Vatican. On ne fait pas de l’histoire sur des fantasmes.
    2) vous mentionnez “Hitler’s pope”, qui n’est pas l’oeuvre d’un historien mais d’un écrivaillon aigri, qui s’est depuis piteusement rétracté sur Pie XII ! Vous auriez mentionné un historien spécialiste de la Shoa comme sir Martin Gilbert, ou bien une autorité morale comme Serge Klarsfeld, vous auriez sans doute gagné en crédibilité.
    3) la problématique historique n’est pas ici seulement de savoir si Pie XII savait ou non, mais ce qu’il a fait.

    Il ne s’agit de dire “histoire, histoire” en sautant sur sur son clavier comme un cabri, il faut savoir surtout la pratiquer.

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